L’EURO AU PLACARD
Entre le discours de la Sorbonne qu’Emmanuel Macron avait consacré à l’Europe, le 26 septembre 2017, et la lettre qu’il a envoyée aux « citoyens » de l’Union, le 4 mars dernier, un changement significatif s’est produit. La réforme de la zone euro était un élément central du premier, elle a disparu de la seconde. Les prochaines élections européennes visant à élire les représentants de l’ensemble de l’Union, il était certes logique de s’adresser à tous les pays, et non aux seuls membres de la zone. Mais on ne peut s’empêcher de voir dans ce glissement un recul significatif. Echaudé par la manière dont son projet de budget de la zone euro a été accueilli, le président français a sans doute considéré qu’il valait mieux revenir à des thèmes plus consensuels : la défense des frontières et de l’environnement.
Le paradoxe de ce renoncement à renforcer l’euro zone est que la monnaie européenne s’en sort globalement mieux que l’Europe en matière de popularité. Selon Eurobaromètre, les Français sont deux fois plus nombreux à être « très attachés » à l’euro qu’ils ne le sont à l’Europe elle-même (28% contre 14%). Des chiffres similaires s’observent partout au sein de la zone. Dans le classement des raisons de l’attachement à l’Europe, l’euro arrive en tête ou en deuxième, rivalisant avec « la liberté de voyager, d’étudier et de travailler partout dans l’UE ». Cette popularité de l’euro explique nombre de reculades politiques. Ainsi, Alexis Tsipras, élu sur une plateforme très hostile à la Commission et à ses plans d’austérité, a-t-il renoncé à sortir de l’euro quand il a compris que son opinion publique était fidèle à la monnaie européenne. L’Italie est elle-même en train de subir les conséquences de ce paradoxe. Matteo Salvini, leader de la Ligue du Nord, abhorre l’Europe et ses représentants ; mais il doit constater que la popularité transalpine de l’euro est forte, ce qui l’oblige, pour l’instant, à faire silencieusement marche arrière pour éviter un clash irrémédiable. Marine Le Pen a été soumise au même dilemme quand elle a compris que ses positions anti-euro lui faisaient du tort, alors que son discours anti-Europe résonnait fortement dans son électorat.
Cet attachement à l’euro montre que la stabilité monétaire qu’il apporte est appréciée. On aurait tort toutefois de considérer qu’il fait l’unanimité. Dans un sondage présenté par Brice Teinturier lors de la dernière Journée du Livre d’Economie, en novembre, il apparaissait clairement que les ouvriers et les personnes non diplômées restent très méfiants visà-vis de l’euro. Ils le tiennent à 85% pour responsable de la perte de leur pouvoir d’achat. Aussi solide que l’euro apparaisse, recueillant un taux d’approbation globale des deux tiers, il a encore un long chemin à parcourir avant de donner satisfaction sur le terrain de la croissance et l’emploi.
Dans la liste des réformes qui restent indispensables, on peut citer une fiscalité commune sur les entreprises et le capital, un budget qui puisse véritablement jouer un rôle contracyclique dans les pays affectés par une crise, une capacité collective d’émettre de la dette sans risque… Il manque aussi et surtout un Parlement de la zone, qui exerce un véritable contre-pouvoir face à l’eurogroupe, ce concile confidentiel des ministres des Finances. Ces questions vitales risquent toutefois d’être absentes du débat électoral qui s’annonce. L’agenda européen au sens large (les frontières, les migrants…) fait de l’ombre à l’euro. La doxa de la Commission entretient elle-même cette paralysie, autant que la réticence allemande. Bruxelles veut éviter à tout prix de creuser un fossé entre les 27 pays de l’Union et les 19 de la zone, au nom de l’idée que tous doivent à terme en faire partie. C’est au nom de cet argument que le projet d’un budget spécifique à la zone euro a été réduit à la portion congrue. Comme le montre le nouveau texte du président, il faut craindre que ce débat vital ne soit plus d’actualité. C’est-à-dire jusqu’à la prochaine crise.
AUSSI SOLIDE QUE L’EURO APPARAISSE, IL A ENCORE UN LONG CHEMIN À PARCOURIR AVANT DE DONNER SATISFACTION SUR LE TERRAIN DE LA CROISSANCE ET L’EMPLOI.