L'Obs

L’EURO AU PLACARD

- Par DANIEL COHEN Directeur du départemen­t d’économie de l’Ecole normale supérieure.

Entre le discours de la Sorbonne qu’Emmanuel Macron avait consacré à l’Europe, le 26 septembre 2017, et la lettre qu’il a envoyée aux « citoyens » de l’Union, le 4 mars dernier, un changement significat­if s’est produit. La réforme de la zone euro était un élément central du premier, elle a disparu de la seconde. Les prochaines élections européenne­s visant à élire les représenta­nts de l’ensemble de l’Union, il était certes logique de s’adresser à tous les pays, et non aux seuls membres de la zone. Mais on ne peut s’empêcher de voir dans ce glissement un recul significat­if. Echaudé par la manière dont son projet de budget de la zone euro a été accueilli, le président français a sans doute considéré qu’il valait mieux revenir à des thèmes plus consensuel­s : la défense des frontières et de l’environnem­ent.

Le paradoxe de ce renoncemen­t à renforcer l’euro zone est que la monnaie européenne s’en sort globalemen­t mieux que l’Europe en matière de popularité. Selon Eurobaromè­tre, les Français sont deux fois plus nombreux à être « très attachés » à l’euro qu’ils ne le sont à l’Europe elle-même (28% contre 14%). Des chiffres similaires s’observent partout au sein de la zone. Dans le classement des raisons de l’attachemen­t à l’Europe, l’euro arrive en tête ou en deuxième, rivalisant avec « la liberté de voyager, d’étudier et de travailler partout dans l’UE ». Cette popularité de l’euro explique nombre de reculades politiques. Ainsi, Alexis Tsipras, élu sur une plateforme très hostile à la Commission et à ses plans d’austérité, a-t-il renoncé à sortir de l’euro quand il a compris que son opinion publique était fidèle à la monnaie européenne. L’Italie est elle-même en train de subir les conséquenc­es de ce paradoxe. Matteo Salvini, leader de la Ligue du Nord, abhorre l’Europe et ses représenta­nts ; mais il doit constater que la popularité transalpin­e de l’euro est forte, ce qui l’oblige, pour l’instant, à faire silencieus­ement marche arrière pour éviter un clash irrémédiab­le. Marine Le Pen a été soumise au même dilemme quand elle a compris que ses positions anti-euro lui faisaient du tort, alors que son discours anti-Europe résonnait fortement dans son électorat.

Cet attachemen­t à l’euro montre que la stabilité monétaire qu’il apporte est appréciée. On aurait tort toutefois de considérer qu’il fait l’unanimité. Dans un sondage présenté par Brice Teinturier lors de la dernière Journée du Livre d’Economie, en novembre, il apparaissa­it clairement que les ouvriers et les personnes non diplômées restent très méfiants visà-vis de l’euro. Ils le tiennent à 85% pour responsabl­e de la perte de leur pouvoir d’achat. Aussi solide que l’euro apparaisse, recueillan­t un taux d’approbatio­n globale des deux tiers, il a encore un long chemin à parcourir avant de donner satisfacti­on sur le terrain de la croissance et l’emploi.

Dans la liste des réformes qui restent indispensa­bles, on peut citer une fiscalité commune sur les entreprise­s et le capital, un budget qui puisse véritablem­ent jouer un rôle contracycl­ique dans les pays affectés par une crise, une capacité collective d’émettre de la dette sans risque… Il manque aussi et surtout un Parlement de la zone, qui exerce un véritable contre-pouvoir face à l’eurogroupe, ce concile confidenti­el des ministres des Finances. Ces questions vitales risquent toutefois d’être absentes du débat électoral qui s’annonce. L’agenda européen au sens large (les frontières, les migrants…) fait de l’ombre à l’euro. La doxa de la Commission entretient elle-même cette paralysie, autant que la réticence allemande. Bruxelles veut éviter à tout prix de creuser un fossé entre les 27 pays de l’Union et les 19 de la zone, au nom de l’idée que tous doivent à terme en faire partie. C’est au nom de cet argument que le projet d’un budget spécifique à la zone euro a été réduit à la portion congrue. Comme le montre le nouveau texte du président, il faut craindre que ce débat vital ne soit plus d’actualité. C’est-à-dire jusqu’à la prochaine crise.

AUSSI SOLIDE QUE L’EURO APPARAISSE, IL A ENCORE UN LONG CHEMIN À PARCOURIR AVANT DE DONNER SATISFACTI­ON SUR LE TERRAIN DE LA CROISSANCE ET L’EMPLOI.

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