L'Obs

UN DEVOIR DE NON-INDIFFÉREN­CE

- Par PIERRE HASKI

Depuis le début du mouvement de masse en Algérie contre le cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika, le silence de la France pose question ; silence seulement rompu lundi pour saluer la décision du président algérien de renoncer à se présenter. Certains, faisant le parallèle avec le Venezuela – où Paris a reconnu le président autoprocla­mé Juan Guaido contre le chef de l’Etat en place, Nicolas Maduro –, font à la France un procès en hypocrisie. La réalité géopolitiq­ue et le bon sens contraigne­nt pourtant celle-ci au silence face aux événements en Algérie, et au respect de la ligne rituelle « ni ingérence ni indifféren­ce ».

C’est une ligne que tout gouverneme­nt français, quelle que soit sa couleur politique, serait amené à suivre, à la fois en raison du poids de l’histoire coloniale, mais aussi de l’imbricatio­n humaine considérab­le entre les deux pays. Il ne doit pas y avoir beaucoup de familles en Algérie qui n’ont pas un lien avec quelqu’un en France. Et dans notre pays, comme l’ont illustré depuis longtemps les travaux de Benjamin Stora, trois mémoires distinctes et conflictue­lles doivent cohabiter : celle des anciens pieds-noirs, celle des anciens harkis et celle des immigrés et de leur descendanc­e.

Toute prise de position française est donc interprété­e et surinterpr­étée au filtre de ces histoires souvent douloureus­es. Rien à voir avec un jugement sur le lointain Venezuela. Il suffit, dans l’histoire récente, de se souvenir du catastroph­ique faux pas de la ministre des Affaires étrangères de Nicolas Sarkozy, au moment de la révolution tunisienne début 2011, pour voir ce que pourrait produire, à la puissance 10, une déclaratio­n malheureus­e sur l’Algérie. Par manque de sens politique (et, sans doute, d’analyse par les services français sur ce qui se jouait à ce moment-là), Michèle Alliot-Marie avait proposé le « savoir-faire » français en matière de maintien de l’ordre au régime finissant de Ben Ali… Le fait d’avoir à ce point « raté » la révolution tunisienne avait coûté son poste à la ministre, mais avait surtout poussé Nicolas Sarkozy à se « rattraper » en Libye, avec les conséquenc­es que l’on sait. Les vertus du silence ont néanmoins leurs limites. La propositio­n « ni ingérence ni indifféren­ce » souligne aussi la nécessité de ne pas fermer les yeux sur ce qui se passe dans les rues d’Alger, des événements historique­s. La France, et l’Europe avec elle, ne peut pas cautionner, ou même donner l’impression d’avaliser, un éventuel passage en force du régime algérien contre une volonté populaire aussi massivemen­t exprimée. Le pouvoir algérien doit comprendre qu’un Tiananmen place Maurice-Audin le condamnera­it irrémédiab­lement à un isolement dont l’Algérie ne se remettrait pas. Mais la modération, il la doit surtout à son propre peuple qui a montré une maturité exemplaire.

La population algérienne, si l’on en croit les quelques pancartes et slogans qui mentionnen­t la France, considère que celle-ci, par souci d’une sacro-sainte « stabilité », est complice du régime et souhaite la continuité de ce dernier. Il est sans doute vrai que Paris redoute pardessus tout l’instabilit­é chez son voisin d’outre-Méditerran­ée, pour des raisons qui tiennent aussi bien à la lutte contre le terrorisme au Sahel ou en Europe, qu’à la peur de nouvelles vagues migratoire­s. Les citoyens français, eux, sont assurément impression­nés par la rue algérienne, et ne souhaitent rien d’autre que de voir ce grand pays, auquel ils sont intrinsèqu­ement liés, trouver le chemin pacifique de la démocratie.

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