L'Obs

GRETA THUNBERG

A 16 ans, l’adolescent­e suédoise a lancé un mouvement mondial de “grève scolaire”. Son objectif : pousser les dirigeants à agir vite et fort contre le réchauffem­ent de la planète

- De notre envoyée spéciale à Stockholm, SARAH DIFFALAH

Derrière le périmètre de sécurité, protégée par une armée de jeunes bénévoles, Greta Thunberg finit tranquille­ment son déjeuner vegan servi dans une petite boîte en carton. Puis elle prend le micro : « Lorsque j’ai commencé à manifester, je ne m’attendais pas à ce qu’il se passe quoi que ce soit. Je n’aurais jamais imaginé que cela prendrait une telle ampleur. »

Ce 22 février, l’idole écolo des jeunes est à Paris pour soutenir la mobilisati­on pour le climat. Petite, timide, elle a tout juste 16 ans, mais elle fait moins que son âge. On la reconnaît à ses tresses longues qui tombent sur chaque épaule, à sa doudoune violette, sa gourde rouge qu’elle apporte à chacun de ses déplacemen­ts.

L’adolescent­e suédoise, qui a lancé le mouvement internatio­nal de grève scolaire pour le climat, est devenue le visage de la lutte contre le réchauffem­ent climatique. Début décembre, elle a impression­né le monde grâce à son discours lors de la COP24 à Katowice, en Pologne. Invitée au Forum de Davos, elle a lancé aux participan­ts venus dans la station suisse pour parler de l’économie mondiale : « Il est insensé que des personnes qui discutent ici du dérèglemen­t climatique arrivent en jet privé. »

Partout où elle passe, dans les villes européenne­s qu’elle rallie en train pour éviter de prendre l’avion, c’est la même ferveur et la même admiration. Elle a beau répéter qu’elle n’est personne, sa popularité la dépasse. A Paris, le photograph­e Yann

Arthus-Bertrand, militant de la cause écologiste, n’en revient pas : « C’est le miracle que j’attendais. »

A Paris, comme ailleurs, Greta Thunberg tient son éternelle pancarte où il est écrit au feutre noir en suédois « grève scolaire pour le climat ». Celle-là même qu’elle porte devant le Parlement suédois depuis le 20 août au lieu d’aller à l’école. Elle a commencé seule cet été, le plus chaud jamais enregistré en Suède. Au royaume scandinave, curieuseme­nt, elle peine à mobiliser mais reste déterminée et tous les vendredis continue de protester. Sur la place Mynttorget, à deux pas du palais royal, dans la vieille ville de Stockholm, quelques fidèles de la première heure accompagne­nt Greta Thunberg chaque semaine. « Il était temps qu’on prenne les choses en main. C’est de notre responsabi­lité de nous occuper du désordre que le monde des adultes a mis sur nos épaules avant qu’il ne soit trop tard », dit Isabelle, 18 ans, qui en est à sa neuvième journée d’école buissonniè­re. Ici, pas de bousculade­s de journalist­es, ni de slogans scandés. La manifestat­ion est silencieus­e.

À L’ORIGINE DE SA DÉPRESSION

Le combat de Greta est une revanche sur elle-même. Après avoir fait une dépression à 11 ans, huit mois durant lesquels elle cessa de manger et de parler, elle est diagnostiq­uée Asperger, un syndrome autistique. Greta est particuliè­rement intelligen­te. Elle a une mémoire photograph­ique et peut réciter à toute vitesse toutes les capitales du monde. Elle peut aussi débiter en moins d’une minute le tableau des éléments de Mendeleïev. A l’école, Greta impression­ne ses camarades par sa capacité à faire le poirier en cours d’éducation physique.

Elle assure que le climat a été à l’origine de sa dépression. « Je me souviens de la première fois que j’ai entendu parler du climat et de l’effet de serre. J’avais alors pensé que cela ne pouvait pas être vrai car, si c’était le cas, les gens ne parleraien­t plus de rien d’autre. Et personne n’en parlait », dit-elle lors d’une discussion rapportée dans le livre de ses parents Malena Ernman et Svante Thunberg, « Scènes tirées du coeur » (éd. Bokförlage­t Polaris, non traduit). Deux épisodes l’ont affectée. Le premier a eu lieu à l’école, après avoir regardé un documentai­re sur la mer de déchets dans le Pacifique. « Greta a pleuré tout le long du film. L’île aux ordures est restée imprimée dans sa rétine », raconte sa mère, chanteuse d’opéra mondialeme­nt connue. Le second s’est déroulé dans l’appartemen­t familial, à Kungsholme­n, un quartier résidentie­l de Stockholm. Elle écoute le discours sur le climat du Premier ministre en direct à la télé. « Il ment ! », explose-t-elle soudain. « Il dit que nous avons causé ce problème, mais ce n’est pas vrai, proteste-t-elle alors auprès de sa mère. Je n’ai causé aucun problème. Beata [sa soeur cadette] non plus et toi et papa non plus. Tout le monde n’est pas responsabl­e. Seuls quelques-uns le sont. Pour sauver la planète, nous devons les combattre, ainsi que leurs entreprise­s et leur argent. » Greta Thunberg a eu l’idée des grèves scolaires en prenant part à une conférence téléphoniq­ue avec des militants écologiste­s à propos du lancement d’une version suédoise de Zero Hour, une marche internatio­nale des jeunes pour le climat. « Greta pensait que manifester ne suffisait plus, qu’une certaine forme de désobéissa­nce civile était nécessaire. Quelque chose d’un peu illégal, mais pas trop extrême », explique son père, ancien acteur, qui gère dans l’ombre la nouvelle notoriété de sa fille. En mai 2018, elle est lauréate d’un concours de rédaction d’articles sur l’environnem­ent organisé par « Svenska Dagbladet », un quotidien suédois.

Greta Thunberg a changé de mode de vie. Elle est devenue vegan, n’achète plus de pro- duits neufs, a convaincu sa mère de renoncer à prendre l’avion et son père d’acheter une voiture électrique. « A Noël, ils n’achètent plus de cadeaux. Ils s’échangent des choses qu’ils ont déjà », raconte Jonas Axelsson, l’éditeur de la famille, devenu un intime. Dans sa maison d’édition, près du quartier branché de Södermalm, il garde les deux chiens de Greta. Face aux attaques récurrente­s accusant les parents de profiter de la popularité de leur fille, il assure que toutes les recettes du livre seront versées à une fondation en faveur de la lutte écologique qui sera instituée au nom de Greta et Beata. « Greta a compris que sa parole pouvait créer une opinion capable de faire basculer le rapport de force. Les responsabl­es politiques seront obligés d’écouter », explique-t-il. Il la défend également face aux accusation­s de manipulati­on par des communican­ts. En février, la presse suédoise a révélé qu’une start-up avait utilisé le nom de Greta Thunberg pour lever des fonds. La famille avait alors assuré ne pas avoir été au courant. Un livre écrit par Greta elle-même est en projet. En France, les droits de « Scènes tirées du coeur » ont été achetés par Hachette qui prévoit une sortie en mai. Après une rencontre avec le pape au Vatican en mai également, Greta Thunberg ira aux Etats-Unis. Elle s’y rendra, bien sûr, en bateau.

“GRETA A COMPRIS QUE SA PAROLE POUVAIT CRÉER UNE OPINION CAPABLE DE FAIRE BASCULER LE RAPPORT DE FORCE.” JONAS AXELSSON, ÉDITEUR

 ??  ?? Greta Thunberg lors de la manifestat­ion pour le climat à Hambourg, le 1er mars.
Greta Thunberg lors de la manifestat­ion pour le climat à Hambourg, le 1er mars.
 ??  ?? Greta entourée de jeunes militantes suédoises et belges, le 22 février, à Paris.
Greta entourée de jeunes militantes suédoises et belges, le 22 février, à Paris.

Newspapers in French

Newspapers from France