Sollers face à la mer
LE NOUVEAU, PAR PHILIPPE SOLLERS, GALLIMARD, 144 P., 14 EUROS. UNE CONVERSATION INFINIE, PAR PHILIPPE SOLLERS ET JOSYANE SAVIGNEAU, BAYARD, 141 P., 17,90 EUROS.
« Je me sens plus jeune aujourd’hui qu’il y a cinquante ans », affirme l’octogénaire Philippe Sollers à son amie Josyane Savigneau, dans « Une conversation infinie ». Et il le prouve avec un de ces romans brefs, sécants et fringants, dont il a désormais le secret. Comme si, avec l’âge et la liberté qu’il favorise, l’auteur de « Femmes » et de « Paradis » se désencombrait, s’allégeait, se mozartisait et redevenait le Joyaux bordelais qui, à 15 ans, découvrait « A la recherche du temps perdu » dans la bibliothèque de sa mère et passait ses étés à nager, ramer, dériver. « Le Nouveau » n’est pas seulement le nom de l’annexe du bateau de son grand-père Louis et du troismâts de son arrière-grand-père Henri, c’est aussi le titre de ce livre, que Sollers a écrit dans sa maison de l’île de Ré, où il se « consacre entièrement au dieu qui réjouit [sa] jeunesse », où les mouettes portent les messages des morts et où il a choisi de reposer, face à la mer, sous une dalle verticale ornée d’une rose sculptée. (Toujours dans ses entretiens avec Savigneau, il précise qu’il veut un enterrement catholique et ajoute : « Je suis éternel! ») D’Henri, le navigateur au long cours, le « devin des ondes », qui avait épousé une rebelle irlandaise, et de Louis, le champion d’escrime devenu accro aux jeux (bridge, poker, courses), Philippe, le guerrier du goût, a hérité la manière d’utiliser son stylo comme un fleuret et l’art de voguer sur l’océan de la vie avec une boussole invisible. Comme ses aïeux, il ne cesse de faire le point, de prévoir le gros grain, de déchiffrer les vents mauvais, d’évaluer l’adversaire, de tendre l’oreille et d’entraîner sa mémoire. C’est un écrivain aux aguets, un romancier de vigie posté et caché dans un nid-de-pie, où il prie, à la hauteur des cieux. Henri, qui sillonnait les océans avec des cargaisons de vin de Bordeaux et ressemblait à Edouard Manet, ne se séparait jamais de ses deux volumes de Shakespeare. Il voyageait avec « la Tempête », embarquait avec le Maure de Venise, le prince du Danemark et Lady Macbeth ; son arrière-petit-fils, dont « Antoine et Cléopâtre » est la pièce préférée, a pour sa part fondé un théâtre sans acteurs ni public, qu’il appelle « le Nouveau », où il se glisse dans la peau d’Hamlet, de Lear, de César, de Prospero, et donne la réplique, cinglante, à un monde qui fait naufrage. Après avoir lu ce roman de Sollers, sans doute l’un de ses plus soyeux, baigné dans une lumière de crépuscule où se confondent le lever et le coucher du soleil, on préconise donc de l’écouter converser avec Josyane Savigneau. Il lui explique pourquoi le « Dieu de Bach [lui] parle », pourquoi il ne faut jamais « céder sur ses sensations d’enfance », et pourquoi sa joie demeure. Plus Sollers vieillit, plus il est nouveau.