L'Obs

La vengeance d’un père

Grégoire Delacourt aimait se glisser dans la peau des femmes, il se met ici dans celle d’un père dont le fils a été abusé par un prêtre

- VÉRONIQUE CASSARIN-GRAND

MON PÈRE, PAR GRÉGOIRE DELACOURT, JC LATTÈS, 256 P., 18 EUROS.

Grégoire Delacourt, dont le succès ne se dément pas, le doit aux femmes, celles dans la peau desquelles il s’est habilement glissé au fil de ses romans qui sont autant de contes moraux célébrant leur faculté de résilience. La première fut Jocelyne Guerbette, la mercière millionnai­re de « la Liste de mes envies » qui refusait que ce pactole mette en péril son bonheur tranquille. Vint ensuite Emma, provincial­e mariée en mal d’aventure qui rencontrai­t la passion pour la perdre aussitôt dans « Danser au bord de l’abîme », puis Betty, dont le corps s’était figé pendant des années dans la jeunesse de ses 35 ans dans « la Femme qui ne vieillissa­it pas ». En puisant dans l’actualité des nombreux scandales de pédophilie au sein d’une Eglise qui se retranche derrière le silence et le témoignage de ceux qui porteront toute leur vie le fardeau d’une enfance démolie par la concupisce­nce de ces « représenta­nts de Dieu sur terre », Delacourt choisit cette fois de se glisser dans la peau d’un père dont le fils de dix ans a été violenté par l’un des prêtres chargés d’encadrer sa colonie de vacances. Au retour de Benjamin, Edouard ne s’est rendu compte de rien. Comment l’aurait-il pu, lui qui avait été élevé dans la révérence de la religion et dont le père était mort trop tôt pour le mettre en garde contre les dangers du monde et devenir un modèle sur lequel s’appuyer ? Il a fallu que Benjamin tombe malade et qu’il le conduise à l’hôpital pour s’entendre dire : « Avez-vous abusé de votre fils, monsieur Roussel ? » Comment ne pas se sentir coupable et honteux de n’avoir pas su protéger son fils ? « Je suis devenu un criminel par inattentio­n. Une indignité de père. » Hanté par la parabole du sacrifice d’Isaac, la colère le pousse vers la paroisse de l’ogre, qu’il séquestre après avoir saccagé les lieux. Pendant trois jours, Edouard va martyriser le prêtre, le pousser à avouer publiqueme­nt son crime. Mais la vengeance n’efface pas la douleur des victimes. Elle peut même aveugler au point de se tromper de cible.

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