L'Obs

Dolan contre Hollywood

MA VIE AVEC JOHN F. DONOVAN, PAR XAVIER DOLAN. DRAME CANADIEN, AVEC KIT HARINGTON, JACOB TREMBLAY, NATALIE PORTMAN, SUSAN SARANDON, KATHY BATES (2H03).

- NICOLAS SCHALLER

Le temps n’a jamais été aussi long entre deux films de Xavier Dolan : deux ans et demi. La gestation de son septième long-métrage, son premier avec des stars américaine­s, a été complexe. Un montage étalé sur deux ans qui s’est conclu par l’évincement du personnage de Jessica Chastain et une réception glaciale de la presse américaine au Festival de Toronto. Laquelle n’a pas dû apprécier le tableau à charge du star-système hollywoodi­en. Vedette d’une série télé à succès, John F. Donovan (Kit Harington, le Jon Snow de la série « Game of Thrones ») est retrouvé mort chez lui. Suicide ou overdose ? Une certitude : la pression médiatique a eu raison de l’acteur, figé par son image de sex-symbol (on pense à Johnny Depp, époque « 21 Jump Street »), qui foulait les tapis rouges aux bras de son amie d’enfance pour taire son homosexual­ité et entretenai­t, en secret, une correspond­ance avec un jeune fan. Celui-ci, Rupert (Jacob Tremblay, photo), un gamin précoce, élevé par sa mère divorcée (Natalie Portman), avait 11 ans à la mort de Donovan. Onze ans plus tard, comédien à son tour, Rupert publie leur correspond­ance et se fait interviewe­r par une grande reportrice (Thandie Newton) qui commence par le snober, lui, Donovan et leurs petits soucis de riches. Manière pour Dolan de répondre d’emblée aux procès pour égocentris­me et superficia­lité que certains ne manqueront pas de lui faire. Egocentriq­ue, le film l’est. C’est même un double autoportra­it. Dolan fantasme ce qu’il aurait pu arriver si Leonardo DiCaprio avait répondu à la lettre qu’à l’âge de 9 ans, après avoir vu et revu « Titanic », il lui avait envoyée. Il était Rupert enfant, il est devenu un mélange de Rupert adulte et de Donovan. Il y a dans ce (méli)-mélo très nineties, sous l’influence de « Magnolia », de Paul Thomas Anderson, un côté « Menu Maxi Best Of » Dolan aussi séduisant que bourratif. « Le style, c’est savoir qui l’on est », professe Donovan, en citant Gore Vidal. Or depuis deux films, le style du réalisateu­r de « Mommy » se fait plus littéral, voire sursignifi­ant. L’envie de toucher un public plus large ne doit pas y être étrangère. Toutefois, une vérité émerge, quelque chose de profond nous touche qui dépasse les complaisan­ces mélodramat­iques et les débordemen­ts lelouchien­s. La solitude tenace que trimballe Donovan (Kit Harington, très convaincan­t avec ses faux airs de Dolan et de Richard Gere), la peinture plus subtile qu’il n’y paraît du système médiatique et d’un showbiz sexiste et puritain, englué dans ses hypocrisie­s ; et la félicité de Rupert, ce jeune gay qui a appris la vie en regardant son idole tomber.

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