CE QUE LES FRANÇAIS VEULENT VRAIMENT
En attendant les annonces du gouvernement, “l’Obs” passe au crible les sujets les plus discutés par les Français lors des assemblées citoyennes
La cloche a sonné. Ce 15 mars se referme la phase principale du grand débat national voulu par Emmanuel Macron. Durant deux mois, les Français ont échangé dans des milliers de salles communales, écoles, entreprises ou même théâtres (voir le reportage p. 44). Sur le site internet dédié, le million de contributions a été dépassé depuis longtemps. Avant les premières annonces gouvernementales, attendues mi-avril, des citoyens tirés au sort, réunis en 18 conférences régionales, vont maintenant effectuer un travail de synthèse. Toujours sous le regard attentif des cinq garants du grand débat (voir l’interview p. 42). De ces échanges, dudit site, mais aussi des cahiers de doléances mis à la disposition de chacun, « l’Obs » a extrait dix propositions, passées ici au banc d’essai.
1. RÉTABLIR L’ISF
C’est le leitmotiv. Le sujet qui revient systématiquement. Comment faire payer les plus riches? Pourquoi ne pas restaurer l’ISF s’ils n’investissent pas dans les entreprises ? Sans doute le principal piège pour le président de la République qui a promis « en même temps » d’écouter les Français et de ne pas toucher à sa réforme de la fiscalité du capital. Pour l’aider à sortir de la nasse, les fiscalistes, les syndicalistes et les députés LREM turbinent. Et si on ajoutait plutôt une tranche supérieure d’impôts sur le revenu? Problème, elle est déjà à 45%, auxquels s’ajoutent la CSG et la CRDS. Et tout le monde semble avoir oublié la surtaxe de 3% pour les revenus supérieurs à 250 000 euros et de 4% au-delà de 500 000 euros (la « surtaxe Fillon » valable jusqu’à ce que le déficit soit ramené à zéro), soit le taux le plus haut d’Europe derrière celui de la Suède. Pas très attractif au moment où on essaie de capter les relocalisés du Brexit... Et si on taxait davantage les très grosses successions? Ce serait ignorer que les Français détestent encore plus cet « impôt sur la mort » que les taxes sur le carburant. Macron, Philippe et Darmanin le disent et le répètent : ils veulent baisser les impôts, pas les augmenter. Ils s’appuient sur les déclarations en ce sens dans les débats. Seule concession du ministre du Budget pour l’instant: augmenter la progressivité de la fiscalité en baissant le taux de la première tranche d’impôts sur le revenu.
2. RECONNAÎTRE LE VOTE BLANC
Depuis une loi de 2014, les votes blancs sont dénombrés, mais ne sont toujours pas comptabilisés dans les suffrages exprimés. La donne pourrait changer à l’occasion du grand débat, où ce fut l’une des revendications les plus fréquentes. La prise en compte du vote blanc n’aurait rien changé à l’élection d’Emmanuel Macron en 2017, mais François Hollande n’aurait pas été élu en 2012 puisque la Constitution impose que « le président de la République [soit] élu à la majorité absolue des suffrages exprimés ». Autre point en suspens : dans le cas où les votes blancs seraient majoritaires, l’élection serait-elle purement et simplement annulée ? Si Matignon est réservé sur la reconnaissance du vote blanc, le chef de l’Etat s’est dit, lui, prêt, dans sa « Lettre aux Français », à étudier la question. Comme celle, d’ailleurs, du vote obligatoire.
3. TIRER AU SORT DES REPRÉSENTANTS
Ce serait le retour à la démocratie athénienne. Cette aspiration est revenue à de multiples reprises dans les
débats : tirer au sort des citoyens et des citoyennes qui élaborent les lois ou donnent leur avis sur des grandes décisions à l’Assemblée nationale ou dans des assemblées ad hoc. Et à tous ceux qui s’inquiètent à l’avance des choix que pourraient prendre ces Français tirés au sort, et non plus élus par leurs concitoyens, il convient de rappeler que les jurés d’assises sont eux aussi tirés au sort. « Cette méthode permet de sortir du prisme unique de l’élection, qui, en fait, reproduit une classe politique homogène, plaide Romain Slitine, maître de conférences à Sciences-Po. Le tirage au sort permet de représenter de manière plus fidèle la société française. » Pour ce membre de Démocratie ouverte, « une des conditions du succès de cette méthode est qu’elle puisse être combinée à des moyens pour éclairer les citoyens tirés au sort, les indemniser, leur laisser le temps de délibérer et d’élaborer des propositions ».
4. BAISSER LA TVA
C’est une revendication des « gilets jaunes », qui est revenue dans la plupart des débats : taxer les produits alimentaires de première nécessité au taux de TVA le plus bas (2,1%), celui appliqué aux médicaments remboursables, à certains spectacles et publications de presse. Pourquoi, même, ne pas les exonérer totalement ? Aujourd’hui, ces produits sont taxés à 5,5%. Bercy est très partagé sur le sujet. Et pour cause: la TVA est l’impôt qui fait rentrer le plus d’argent dans les caisses publiques. Ramener de 5,5% à 0% le taux sur les produits de première nécessité coûterait une dizaine de milliards d’euros. Cela aurait-il pour autant un effet aussi important sur le pouvoir d’achat ? Lorsque la « taxe tampon » – le taux de TVA sur les protections féminines – est passé de 20% à 5,5% en 2015, les associations féministes n’ont hélas pas constaté de baisse de prix équivalente. L’effet a aussi été limité lorsque la restauration a bénéficié d’une baisse de taux à 10%. Pour doper le pouvoir d’achat, il est plus efficace d’augmenter les prestations versées aux ménages les plus modestes.
5. LUTTER CONTRE LES DÉSERTS MÉDICAUX
Comment accéder aux soins quand les déserts médicaux ne cessent de s’étendre? La question est épineuse car un Français sur dix vit dans une zone où l’on manque de généralistes. Aucune des coûteuses mesures prises jusqu’ici – incitations financières, construction de maisons de santé pluridisciplinaires, etc. – n’a fonctionné. Depuis dix ans, le nombre de médecins en activité a chuté de 10% et la fin du numerus clausus (quota annuel de nouveaux médecins) ne portera pas tout de suite ses fruits. Formation de 1 000 « communautés professionnelles territoriales de santé » pour désengorger les urgences, développement de la télémédecine... Les mesures phares annoncées par le gouvernement pour enrayer cette crise sont plutôt bien reçues par le corps médical. En revanche, l’idée de créer 4 000 postes d’assistants médicaux pour leur libérer du temps de soin fait grincer des dents les praticiens. Ils craignent d’être obligés, en contrepartie, de multiplier les consultations.
6. TAXER LE KÉROSÈNE
Moyen de transport le plus polluant (il est responsable de 2 à 3% des émissions mondiales de CO2, soit deux fois les émissions françaises totales), l’avion est aussi celui dont le carburant, le kérosène, est le moins taxé. Victimes de la hausse de la taxe carbone, les « gilets jaunes » n’ont pas manqué de pointer ce paradoxe d’autant plus incompréhensible que l’avion reste un mode de transport utilisé par un public de privilégiés. Si revenir sur cette exonération au niveau mondial s’annonce complexe, certains plaident pour une taxation du kérosène au moins pour les vols domestiques. Selon le Réseau Action Climat, cela rapporterait la bagatelle de 800 millions d’euros par an. Mais c’est une fausse bonne idée, disent les adversaires d’une telle mesure : elle pourrait fragiliser les entreprises françaises, à commencer par Air France. Et hors kérosène, l’aérien est un secteur fortement mis à contribution : les taxes représentent déjà environ 30% du prix d’un billet d’avion.
7. CRÉER UN RIC
C’est la star des ronds-points. Le Référendum d’Initiative citoyenne (RIC) est la forme de démocratie directe plébiscitée par les « gilets jaunes ». Si un groupe de citoyens (dont le nombre serait fixé par la loi) soutient une proposition, celle-ci est soumise à la population
“LE TIRAGE AU SORT PERMET DE REPRÉSENTER DE MANIÈRE PLUS FIDÈLE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE.” ROMAIN SLITINE, MAÎTRE DE CONFÉRENCES À SCIENCES-PO
par référendum, sans l’accord du Parlement ni du président de la République. Pour ses partisans, le RIC servirait à proposer une loi, à en abroger une, à modifier la Constitution ou à révoquer un élu. De tels types de référendums existent dans d’autres pays comme la Suisse ou l’Equateur. La question du nombre de signataires pour le déclencher est primordiale. « Si le seuil est impossible à atteindre, il devient un droit formel qui ne sert à rien, analyse Romain Slitine. Mais s’il est ouvert à tout-va, ça n’a pas de sens non plus. Quand on prend les exemples étrangers, l’initiative qui sera soumise à référendum doit mobiliser entre 1 et 2% de la population. »
8. RAPPROCHER L’ADMINISTRATION
Les difficultés dues à l’éloignement de l’administration, particulièrement dans les zones rurales, sont remontées aux oreilles d’Emmanuel Macron dès le premier débat auquel il a participé, le 15 janvier à Grand Bourgtheroulde (Eure). Plusieurs élus arguant notamment qu’il faut désormais « parcourir plusieurs dizaines de kilomètres pour établir une carte d’identité ». Le chef de l’Etat s’est dit « prêt à rouvrir le sujet pour les cartes d’identité, les passeports et les permis de conduire ». Un retour de leur délivrance en mairie est envisagé. Mais il faudra revenir alors sur l’objectif de suppression de 120 000 fonctionnaires durant le quinquennat. A moins que l’Etat n’engage un grand mouvement de transfert de ses administrations centrales vers la fonction publique territoriale.
9. SUPPRIMER LES PRIVILÈGES
Les privilèges accordés aux anciens présidents de la République ne passent plus. Des bureaux et une voiture de fonction, sept collaborateurs (hors sécurité et hors chauffeurs) à leur service pendant cinq ans (puis trois collaborateurs à partir de la sixième année), un salaire de 6 000 euros brut pris en charge par l’Etat ; la plupart de ces avantages leur étant dévolus à vie. « Cela coûte environ deux millions par an et par président », précise l’ancien député René Dosière, qui ajoute: « Pour moi, la durée de cinq ans me semble la bonne pour tous les avantages. » Les dépenses de sécurité seraient, elles, soumises à l’évaluation des risques.
10. DÉSENCLAVER LES TERRITOIRES
Le gouvernement dit avoir déjà trouvé une première réponse à la fracture territoriale que connaît le pays avec la loi d’orientation sur les mobilités, dont l’examen a commencé début mars au Sénat. Pour mettre fin à cette France à deux vitesses, l’exécutif entend sortir du tout-TGV et du tout-autoroute, en investissant 50% de plus dans la remise en état des réseaux ferrés et 30% de plus dans les routes secondaires. En plus du développement des trains régionaux autour des grandes villes, le texte prévoit aussi de favoriser le covoiturage ou la voiture électrique en libre-service.