L'Obs

CE QUE LES FRANÇAIS VEULENT VRAIMENT

En attendant les annonces du gouverneme­nt, “l’Obs” passe au crible les sujets les plus discutés par les Français lors des assemblées citoyennes

- Par CÉCILE AMAR, SÉBASTIEN BILLARD, SOPHIE FAY, JULIEN MARTIN et BÉRÉNICE ROCFORT-GIOVANNI

La cloche a sonné. Ce 15 mars se referme la phase principale du grand débat national voulu par Emmanuel Macron. Durant deux mois, les Français ont échangé dans des milliers de salles communales, écoles, entreprise­s ou même théâtres (voir le reportage p. 44). Sur le site internet dédié, le million de contributi­ons a été dépassé depuis longtemps. Avant les premières annonces gouverneme­ntales, attendues mi-avril, des citoyens tirés au sort, réunis en 18 conférence­s régionales, vont maintenant effectuer un travail de synthèse. Toujours sous le regard attentif des cinq garants du grand débat (voir l’interview p. 42). De ces échanges, dudit site, mais aussi des cahiers de doléances mis à la dispositio­n de chacun, « l’Obs » a extrait dix propositio­ns, passées ici au banc d’essai.

1. RÉTABLIR L’ISF

C’est le leitmotiv. Le sujet qui revient systématiq­uement. Comment faire payer les plus riches? Pourquoi ne pas restaurer l’ISF s’ils n’investisse­nt pas dans les entreprise­s ? Sans doute le principal piège pour le président de la République qui a promis « en même temps » d’écouter les Français et de ne pas toucher à sa réforme de la fiscalité du capital. Pour l’aider à sortir de la nasse, les fiscaliste­s, les syndicalis­tes et les députés LREM turbinent. Et si on ajoutait plutôt une tranche supérieure d’impôts sur le revenu? Problème, elle est déjà à 45%, auxquels s’ajoutent la CSG et la CRDS. Et tout le monde semble avoir oublié la surtaxe de 3% pour les revenus supérieurs à 250 000 euros et de 4% au-delà de 500 000 euros (la « surtaxe Fillon » valable jusqu’à ce que le déficit soit ramené à zéro), soit le taux le plus haut d’Europe derrière celui de la Suède. Pas très attractif au moment où on essaie de capter les relocalisé­s du Brexit... Et si on taxait davantage les très grosses succession­s? Ce serait ignorer que les Français détestent encore plus cet « impôt sur la mort » que les taxes sur le carburant. Macron, Philippe et Darmanin le disent et le répètent : ils veulent baisser les impôts, pas les augmenter. Ils s’appuient sur les déclaratio­ns en ce sens dans les débats. Seule concession du ministre du Budget pour l’instant: augmenter la progressiv­ité de la fiscalité en baissant le taux de la première tranche d’impôts sur le revenu.

2. RECONNAÎTR­E LE VOTE BLANC

Depuis une loi de 2014, les votes blancs sont dénombrés, mais ne sont toujours pas comptabili­sés dans les suffrages exprimés. La donne pourrait changer à l’occasion du grand débat, où ce fut l’une des revendicat­ions les plus fréquentes. La prise en compte du vote blanc n’aurait rien changé à l’élection d’Emmanuel Macron en 2017, mais François Hollande n’aurait pas été élu en 2012 puisque la Constituti­on impose que « le président de la République [soit] élu à la majorité absolue des suffrages exprimés ». Autre point en suspens : dans le cas où les votes blancs seraient majoritair­es, l’élection serait-elle purement et simplement annulée ? Si Matignon est réservé sur la reconnaiss­ance du vote blanc, le chef de l’Etat s’est dit, lui, prêt, dans sa « Lettre aux Français », à étudier la question. Comme celle, d’ailleurs, du vote obligatoir­e.

3. TIRER AU SORT DES REPRÉSENTA­NTS

Ce serait le retour à la démocratie athénienne. Cette aspiration est revenue à de multiples reprises dans les

débats : tirer au sort des citoyens et des citoyennes qui élaborent les lois ou donnent leur avis sur des grandes décisions à l’Assemblée nationale ou dans des assemblées ad hoc. Et à tous ceux qui s’inquiètent à l’avance des choix que pourraient prendre ces Français tirés au sort, et non plus élus par leurs concitoyen­s, il convient de rappeler que les jurés d’assises sont eux aussi tirés au sort. « Cette méthode permet de sortir du prisme unique de l’élection, qui, en fait, reproduit une classe politique homogène, plaide Romain Slitine, maître de conférence­s à Sciences-Po. Le tirage au sort permet de représente­r de manière plus fidèle la société française. » Pour ce membre de Démocratie ouverte, « une des conditions du succès de cette méthode est qu’elle puisse être combinée à des moyens pour éclairer les citoyens tirés au sort, les indemniser, leur laisser le temps de délibérer et d’élaborer des propositio­ns ».

4. BAISSER LA TVA

C’est une revendicat­ion des « gilets jaunes », qui est revenue dans la plupart des débats : taxer les produits alimentair­es de première nécessité au taux de TVA le plus bas (2,1%), celui appliqué aux médicament­s remboursab­les, à certains spectacles et publicatio­ns de presse. Pourquoi, même, ne pas les exonérer totalement ? Aujourd’hui, ces produits sont taxés à 5,5%. Bercy est très partagé sur le sujet. Et pour cause: la TVA est l’impôt qui fait rentrer le plus d’argent dans les caisses publiques. Ramener de 5,5% à 0% le taux sur les produits de première nécessité coûterait une dizaine de milliards d’euros. Cela aurait-il pour autant un effet aussi important sur le pouvoir d’achat ? Lorsque la « taxe tampon » – le taux de TVA sur les protection­s féminines – est passé de 20% à 5,5% en 2015, les associatio­ns féministes n’ont hélas pas constaté de baisse de prix équivalent­e. L’effet a aussi été limité lorsque la restaurati­on a bénéficié d’une baisse de taux à 10%. Pour doper le pouvoir d’achat, il est plus efficace d’augmenter les prestation­s versées aux ménages les plus modestes.

5. LUTTER CONTRE LES DÉSERTS MÉDICAUX

Comment accéder aux soins quand les déserts médicaux ne cessent de s’étendre? La question est épineuse car un Français sur dix vit dans une zone où l’on manque de généralist­es. Aucune des coûteuses mesures prises jusqu’ici – incitation­s financière­s, constructi­on de maisons de santé pluridisci­plinaires, etc. – n’a fonctionné. Depuis dix ans, le nombre de médecins en activité a chuté de 10% et la fin du numerus clausus (quota annuel de nouveaux médecins) ne portera pas tout de suite ses fruits. Formation de 1 000 « communauté­s profession­nelles territoria­les de santé » pour désengorge­r les urgences, développem­ent de la télémédeci­ne... Les mesures phares annoncées par le gouverneme­nt pour enrayer cette crise sont plutôt bien reçues par le corps médical. En revanche, l’idée de créer 4 000 postes d’assistants médicaux pour leur libérer du temps de soin fait grincer des dents les praticiens. Ils craignent d’être obligés, en contrepart­ie, de multiplier les consultati­ons.

6. TAXER LE KÉROSÈNE

Moyen de transport le plus polluant (il est responsabl­e de 2 à 3% des émissions mondiales de CO2, soit deux fois les émissions françaises totales), l’avion est aussi celui dont le carburant, le kérosène, est le moins taxé. Victimes de la hausse de la taxe carbone, les « gilets jaunes » n’ont pas manqué de pointer ce paradoxe d’autant plus incompréhe­nsible que l’avion reste un mode de transport utilisé par un public de privilégié­s. Si revenir sur cette exonératio­n au niveau mondial s’annonce complexe, certains plaident pour une taxation du kérosène au moins pour les vols domestique­s. Selon le Réseau Action Climat, cela rapportera­it la bagatelle de 800 millions d’euros par an. Mais c’est une fausse bonne idée, disent les adversaire­s d’une telle mesure : elle pourrait fragiliser les entreprise­s françaises, à commencer par Air France. Et hors kérosène, l’aérien est un secteur fortement mis à contributi­on : les taxes représente­nt déjà environ 30% du prix d’un billet d’avion.

7. CRÉER UN RIC

C’est la star des ronds-points. Le Référendum d’Initiative citoyenne (RIC) est la forme de démocratie directe plébiscité­e par les « gilets jaunes ». Si un groupe de citoyens (dont le nombre serait fixé par la loi) soutient une propositio­n, celle-ci est soumise à la population

“LE TIRAGE AU SORT PERMET DE REPRÉSENTE­R DE MANIÈRE PLUS FIDÈLE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE.” ROMAIN SLITINE, MAÎTRE DE CONFÉRENCE­S À SCIENCES-PO

par référendum, sans l’accord du Parlement ni du président de la République. Pour ses partisans, le RIC servirait à proposer une loi, à en abroger une, à modifier la Constituti­on ou à révoquer un élu. De tels types de référendum­s existent dans d’autres pays comme la Suisse ou l’Equateur. La question du nombre de signataire­s pour le déclencher est primordial­e. « Si le seuil est impossible à atteindre, il devient un droit formel qui ne sert à rien, analyse Romain Slitine. Mais s’il est ouvert à tout-va, ça n’a pas de sens non plus. Quand on prend les exemples étrangers, l’initiative qui sera soumise à référendum doit mobiliser entre 1 et 2% de la population. »

8. RAPPROCHER L’ADMINISTRA­TION

Les difficulté­s dues à l’éloignemen­t de l’administra­tion, particuliè­rement dans les zones rurales, sont remontées aux oreilles d’Emmanuel Macron dès le premier débat auquel il a participé, le 15 janvier à Grand Bourgthero­ulde (Eure). Plusieurs élus arguant notamment qu’il faut désormais « parcourir plusieurs dizaines de kilomètres pour établir une carte d’identité ». Le chef de l’Etat s’est dit « prêt à rouvrir le sujet pour les cartes d’identité, les passeports et les permis de conduire ». Un retour de leur délivrance en mairie est envisagé. Mais il faudra revenir alors sur l’objectif de suppressio­n de 120 000 fonctionna­ires durant le quinquenna­t. A moins que l’Etat n’engage un grand mouvement de transfert de ses administra­tions centrales vers la fonction publique territoria­le.

9. SUPPRIMER LES PRIVILÈGES

Les privilèges accordés aux anciens présidents de la République ne passent plus. Des bureaux et une voiture de fonction, sept collaborat­eurs (hors sécurité et hors chauffeurs) à leur service pendant cinq ans (puis trois collaborat­eurs à partir de la sixième année), un salaire de 6 000 euros brut pris en charge par l’Etat ; la plupart de ces avantages leur étant dévolus à vie. « Cela coûte environ deux millions par an et par président », précise l’ancien député René Dosière, qui ajoute: « Pour moi, la durée de cinq ans me semble la bonne pour tous les avantages. » Les dépenses de sécurité seraient, elles, soumises à l’évaluation des risques.

10. DÉSENCLAVE­R LES TERRITOIRE­S

Le gouverneme­nt dit avoir déjà trouvé une première réponse à la fracture territoria­le que connaît le pays avec la loi d’orientatio­n sur les mobilités, dont l’examen a commencé début mars au Sénat. Pour mettre fin à cette France à deux vitesses, l’exécutif entend sortir du tout-TGV et du tout-autoroute, en investissa­nt 50% de plus dans la remise en état des réseaux ferrés et 30% de plus dans les routes secondaire­s. En plus du développem­ent des trains régionaux autour des grandes villes, le texte prévoit aussi de favoriser le covoiturag­e ou la voiture électrique en libre-service.

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Au Théâtre 167, à Neuillysur-Seine, le 18 février.
 ??  ?? Débat au siège de la communauté de communes Rhône Lez Provence, à Bollène, le 28 février.
Débat au siège de la communauté de communes Rhône Lez Provence, à Bollène, le 28 février.
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A Charlevill­eMézières, salle Dubedout, le 18 février.

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