Ecole Entretien avec les ministres Jean-Michel Blanquer et Frédérique Vidal
Excès de théorie, lacunes en mathématiques… Pour les ministres Jean-Michel Blanquer et Frédérique Vidal, la formation des enseignants du primaire et du secondaire doit être revue. Entretien exclusif
Après les écoles normales d’instituteurs, les IUFM, puis les ESPE, maintenant les INSPE. Pourquoi cette énième réforme de la formation des maîtres qui prendra effet à la rentrée?
Jean-Michel Blanquer Le premier facteur de réussite scolaire, quel que soit le pays, c’est la qualité de la formation des professeurs. Or elle pose actuellement problème, en raison de sa trop grande hétérogénéité. Un futur professeur des écoles peut bénéficier de nombreuses heures d’enseignement sur la lecture dans une région, mais d’à peine quelques heures dans une autre. Conséquence, la qualité de ce qui est transmis n’est pas
partout. Par exemple, la plupart des futurs instituteurs sont issus d’une filière littéraire : 90% n’ont aucune formation en mathématiques. C’est l’une des raisons de l’affaissement du niveau en maths en primaire. C’est pourquoi nous voulons une formation qui conjugue l’excellence académique et la qualité pédagogique. Frédérique Vidal Depuis les années 1990, la formation des maîtres se faisait dans des établissements rattachés aux universités. Chacune des ESPE [écoles supérieures du professorat et de l’éducation, NDLR] dispensait des formations extrêmement différentes. Car il n’existait pas de vrai « référentiel » national pour cadrer les choses : quelles compétences incontournables attend-on des futurs enseignants? Quel savoir-faire? Quel « savoir-être » ?
Le problème numéro un n’est-il pas plutôt que les futurs profs n’ont pas suffisamment d’heures de formation et d’observation des pratiques de leurs aînés?
J.-M. B. Le point de départ, c’est qu’il faut avoir à la fois de bonnes connaissances dans les disciplines fondamentales et une bonne pratique pédagogique, l’un ne s’opposant pas à l’autre. Ce rééquilibrage ne passe pas seulement par un nombre d’heures. En primaire, on a besoin de professeurs ayant de solides assises en français et en maths. Nous allons donc garantir qu’au moins 55% du temps de leur formation portera sur les savoirs fondamentaux.
Pour le second degré, l’excellence dans les disciplines ne suffit pas : il faut garantir aussi la compétence pédagogique. Pour cela, la nature des intervenants est essentielle. Désormais, dans les INSPE [instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation], plus d’un tiers du temps de formation sera assuré par des professeurs de terrain, contre moins de 20% aujourd’hui. C’est l’un des éléments forts de notre réforme.
Vous parlez de « nature » des intervenants. C’est plutôt leur compétence qui a été critiquée…
J.-M. B. Prenons le sujet fondamental de l’apprentissage de la lecture : dorénavant, les étudiants seront formés à la fois par des instituteurs venus du terrain et par des spécialistes de la recherche dans ce domaine, qui viendront, eux, de l’Université. Formation théorique et formation pratique sont les deux mamelles dont la profession a besoin. F. V. Auparavant, le problème ne venait pas de la qualité des enseignants, mais d’une trop grande importance donnée à la théorie. Les enseignants-chercheurs abordaient la lecture sous un angle très conceptuel : comment le langage se construit, quels sont les systèmes cognitifs en jeu pour la lecture, etc. C’est utile, mais la pratique doit revenir au coeur de la formation.
La faute originelle n’a-t-elle pas été de rattacher à l’université ces établissements qui ont remplacé les écoles normales, dont l’enseignement était très pratique?
F. V. Nous sommes dans un monde où tout s’accélère. Il faut certes donner des bases aux enfants, mais aussi leur apprendre à apprendre, à construire des raisonnements, car cela leur servira toute leur vie. Et cette méthodologie, c’est le monde de la recherche universitaire qui contribue à la fournir.
Précisément, n’est-on pas allé trop loin dans le « apprendre à apprendre »?
J.-M. B. A l’étranger, les systèmes qui fonctionnent bien sont ceux qui savent articuler le meilleur de la théorie et le meilleur de la pratique. D’où le nécessaire réinvestissement de l’Education nationale dans le système de formation. L’Education natiogarantie
nale va reprendre la main sur les référentiels de formation, sur les règles du jeu et sur la nomination des directeurs et directrices de ces écoles professionnelles. En tant que futur employeur de ces étudiants, elle ne peut pas laisser ces écoles évoluer au bon vouloir des uns et des autres. F. V. A l’époque des écoles normales, l’Education nationale contrôlait tout, de A à Z. On a alors dit : attention, c’est trop formaté, la recherche doit éclairer et questionner les pratiques méthodologiques. Et hop, on a confié le système aux universités. L’Education nationale avait en quelque sorte perdu la main. D’où un focus, jugé excessif, sur la théorie. Nous remettons aujourd’hui le balancier au centre, pour avoir le meilleur des deux mondes et répondre à l’attente des professeurs. Nous sommes adeptes du « en même temps »… L’un des défauts majeurs du système précédent, c’est, que parmi les formateurs, certains n’avaient pas vu un enfant en classe depuis très longtemps. L’enseignement ne reflétait pas la réalité, le contact avec une classe : les stagiaires découvraient ce qu’est une classe en prenant leurs fonctions! Désormais, cette découverte se fera aussi, en amont, par le récit qu’en feront des praticiens.
Le « récit » ne remplace pas les stages. Va-t-on rester le seul pays où un étudiant, après cinq ans de marketing ou de philo et la réussite au concours, peut se retrouver seul face à une classe, sans avoir reçu aucune formation pratique?
F. V. C’est l’objet de la transformation profonde en cours. La formation se fera sur le modèle des écoles professionnelles, avec des stages, des allers-retours entre la théorie et la pratique. Ces expériences seront organisées sur deux années au lieu d’une seule, puisque le concours n’aura plus lieu au milieu du master (entre M1 et M2), mais à la fin. Jusqu’ici, la première année, consacrée à préparer le concours, favorisait en réalité le bachotage.
C’est tout cela que nous devons changer. On a repensé le système en trois volets : d’abord, avant l’entrée en master, on met en place une licence « pré-professionnalisante » qui, en quelque sorte, interdira que l’on ne soit « que littéraire » ou « que scientifique » ; ensuite, on a étalé sur deux ans (M1 et M2) le contact entre étudiants et élèves dans les classes; enfin, on implique davantage de formateurs venant du terrain. Les concours (Capes et CRPE pour les professeurs des écoles) doivent aussi changer de nature : il ne s’agit pas de sélectionner seulement des experts dans leurs matières, mais aussi des professeurs sachant transmettre et donner le goût de chaque discipline.
Qu’est-ce que la « pré-professionnalisation »?
J.-M. B. C’est une petite révolution, un système à la fois très social et très pédagogique. Il offre la possibilité aux étudiants d’être rémunérés dès le début du parcours menant au métier de professeur. En deuxième année de licence (L2), ils toucheront près de 700 euros, en troisième année, 960 euros, en master 980 euros, ces rémunérations étant cumulables avec une bourse. En échange, ils travailleront huit heures par semaine dans un établissement et se prépareront ainsi progressivement à leur métier. Cela fournira aussi à l’Education nationale un vivier de postulants, pour pallier les difficultés de recrutement qui existent dans certaines régions (Ile-de-France, Nord) pour ce qui est du primaire, ou dans certaines disciplines (langues, mathématiques) s’agissant du secondaire. Ce système concernera 1500 étudiants de L2 dès la rentrée prochaine. Dans les disciplines sous tension, le nombre d’étudiants ainsi recrutés représentera plus d’un quart des postes ouverts au concours. Je suis convaincu que cette mesure sera très populaire. F. V. Elle permettra d’attirer les jeunes qui se sentent une vocation pour ce métier, mais qui n’ont pas les moyens de se projeter dans des études aussi longues de cinq années.
Seront-ils dans les classes? Ou de simples pions? Ou chargés de la surveillance des devoirs?
J.-M. B. Leur fonction évoluera en fonction de leur niveau d’étude. Ils vont surtout faire de l’aide aux devoirs et assister les professeurs qui leur montreront ainsi les différents aspects du métier. Ils commenceront à prendre des responsabilités devant la classe en M1.
Il y a de « mauvais profs », tout le monde en a croisé. Prévoyez-vous d’accroître la formation continue pour les remettre à niveau?
F. V. La demande de formation continue est très forte de la part des professeurs qui ont des difficultés avec leurs élèves. Nous devons la repenser, la rendre plus dynamique. J.-M. B. Il y aura davantage d’heures de formation continue, et elle va être entièrement repensée dans l’intérêt des professeurs et de l’élévation du niveau de nos élèves. Nous renouvelons aussi entièrement notre politique de ressources humaines, avec une vision moins « robotisée », non anonyme, plus accompagnatrice, avec des entretiens de carrière. L’un de nos objectifs fondamentaux est le bien-être des professeurs.
“PARMI LES FORMATEURS, CERTAINS N’AVAIENT PAS VU UN ENFANT EN CLASSE DEPUIS TRÈS LONGTEMPS.” FRÉDÉRIQUE VIDAL