L'Obs

Rencontre Roselyne Bachelot, une femme libre

A 72 ans, l’ex-ministre déborde d’énergie. Elle publie un livre sur la vie de Corentine, sa grand-mère, paysanne pauvre qui a su échapper à son destin

- Par BARBARA KRIEF (1) « Corentine », Plon, en librairies.

E lle ne nous attendait plus. Sur un malentendu, l’ancienne ministre pensait entendre frapper à sa porte deux heures plus tôt. On interrompt son seul instant de repos d’une intense journée. Levée depuis 4h30, elle ne tirera ses rideaux qu’après la représenta­tion d’« Otello », de Giuseppe Verdi, à l’Opéra Bastille. « Je sors tous les soirs. Je vois les copains, je vais à des concerts, au cinéma… La vie est trop courte. » A 72 ans, sept ans après avoir mis un terme à sa longue carrière politique, Roselyne Bachelot pète la forme. Elle anime une matinale sur LCI (« l’Heure de Bachelot »), fait partie des « Grosses Têtes » sur RTL, écrit pour « Nice matin », Forumopera.com ou tient une chronique sur France-Musique. Et reconnaît « ne pas comprendre ceux qui s’ennuient ». Sa soeur Françoise lui dit d’ailleurs : « Pour toi, la vie est une coupe de fruits : tu mords dans chacun à son tour, et le sucre coule le long de ta bouche. »

Cet amour gargantues­que de l’existence, elle l’a hérité de sa grand-mère maternelle. Enfant maltraitée née dans la paysanneri­e bretonne en 1890, domestique exploitée, veuve d’un « bon parti » mort à la guerre et ouvrière sous-payée, Corentine Sinou est le personnage principal du huitième livre de Roselyne Bachelot (1). Happé dès les premières pages, on suit une vie à la trame zolienne. L’arrivée à Paris de la pauvre provincial­e portée par des rêves d’ascension sociale rappelle « Au Bonheur des Dames ». Ses rêves, Corentine les réalisera. Intelligen­te, droite dans ses sabots et, surtout, insoumise, elle échappe à un destin d’enfanteuse embourbée dans une ferme misérable. Offrant ainsi à Yvette, la mère de l’ancienne ministre, la vie qu’elle fantasmait enfant.

Le récit est empreint d’admiration pour cette grand-mère que Roselyne Bachelot a connue jusqu’à ses 22 ans et qui a su, « sans jamais se plaindre ! » et avec humour, profiter des saveurs de la vie. Du supplément de lard dans la soupe les jours de fête, à l’amour, deux fois rencontré. « J’ai encore fait un pamphlet féministe sans m’en rendre compte ! Comme avec “la Petite Fille de la Ve” », lance l’auteure dans un de ses larges sourires communicat­ifs. Fait rare pour une femme (ou un homme) politique, elle revendique le mot : « féministe ». Jusqu’à l’intersecti­onnalité, même si elle ne « partage pas l’intégralit­é des combats ». En observant les « gilets jaunes », elle note que

les femmes, au départ invitées sur le devant de la scène, ont été « sinon éjectées, du moins latéralisé­es » dès que le mouvement s’est médiatisé. Preuve que « les captations de pouvoir sont toujours à l’oeuvre ».

Progressis­te, Roselyne Bachelot s’est battue dès le début de sa carrière pour les droits des femmes et des personnes LGBT : le pacs, la dépsychiat­risation de la transexual­ité, la PMA… Quitte à récolter des insultes dans le très bourgeois 15e arrondisse­ment, qu’elle se plaît à habiter depuis quinze ans. « Lorsque mon fils avait 6 ans, je lui ai dit : “Un jour, tu seras amoureux. D’une fille ou d’un garçon, ça ne changera rien pour moi.” » Avec elle, les connexions familiales sont pleinement assumées. Pierre, le fils, qui fut son assistant parlementa­ire, et bien sûr le père, Jean Narquin, à qui elle succède à l’Assemblée nationale en 1982. « Il y avait beaucoup de “filles de” dans l’Hémicycle. La vie politique est un club fermé, il faut un “père” pour y rentrer. Et lorsque l’on est une femme, mieux vaut qu’il soit biologique, sinon vous serez accusée de promotion canapé. » Elle se souvient alors de cette édifiante anecdote : « Quand j’ai été élue au canton d’Angers-Nord-Est, dévolu à 58% à Mitterrand, un ténor de la droite locale m’a dit : “Si l’on avait su que c’était possible, on aurait envoyé un homme.” Je me suis dit que les difficulté­s commençaie­nt. »

Cette docteure en pharmacie sortie major de sa promo, bonne élève assumée et bosseuse revendiqué­e, s’est souvent vexée à l’idée que l’on puisse penser que son travail soit le fruit de l’amusement et non du labeur. « En réalité, c’est un bien bel hommage, et je suis stupide de m’en irriter. Les patineurs artistique­s sont bien admirés pour leur apparente légèreté. » Des admirateur­s, elle en a beaucoup. Ses fans la saluent avec bienveilla­nce dans la rue. Certains sont venus l’applaudir sur scène dans « les Monologues du vagin », où elle avait fait de l’ombre à Marlène Schiappa et à Myriam El Khomri. Et si la rigueur ne la quitte jamais, dit-elle, elle met aussi de sa chair dans ses écrits. « Avec “Corentine”, j’ai fini des chapitres en larmes. » Elle le dit volontiers, elle ne se considère pas comme « une vraie écrivain ». « J’écris comme un diesel. Je peux rester en catalepsie, puis perdre la notion du temps. Bon, quand je relis mes écrits d’après minuit, je me demande si je n’ai pas un peu fumé la moquette. »

Confiante, la blagueuse à la punchline parfois grivoise manie parfaiteme­nt l’autodérisi­on. Finalement, Roselyne Bachelot, c’est surtout quelqu’un qui va bien. Qui jouit, sur scène et ailleurs, des plaisirs de ses passions et des douceurs de la vie. Comme Corentine. On sonne à la porte. C’est Christelle, sa coach sportive depuis dix ans, avec qui elle s’apprête à enchaîner cardio, stretching et abdos-fessiers.

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Corentine Sinou, grand-mère maternelle de Roselyne Bachelot, née en 1890.

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