L'Obs

L’Observatri­ce par Sophie Fontanel

Accusé d’avoir dénaturé Celine, la maison dont il a hérité, Hedi Slimane vient de ressuscite­r son identité bourgeoise avec brio

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Autant vous prévenir tout de suite, cette chronique va accuser l’âge de votre serviteuse. Née en 1962, j’avais 15 ans quand la bourgeoise que Hedi Slimane vient de faire défiler pour le show Celine arpentait les beaux quartiers des villes de France. Un de mes collègues, irlandais, a récemment écrit que cette grande bourgeoise venait de SaintGerma­in-des-Prés. Il se trompe. A Saint-Germain-des-Prés, à l’époque, si on n’était pas hippie, on était carrément Saint Laurent rive gauche, intello déjà caviar. On ne passait pas par la case Céline, qu’on méprisait royalement. La bourgeoise Céline, elle était « seize » (16e arrondisse­ment de Paris).

S’il nous semble, en 2019, qu’une connivence existe entre les styles Céline et Saint Laurent des années 1970, c’est uniquement parce que, le temps aidant, on ne sépare plus le bon vin de l’ivraie. J’entends le photograph­e Frank Horvat, interviewé en 2014 sur FranceCult­ure, raconter cette mode des années 1960-70 et fulminer contre les habits de grande di usion que les magazines de mode l’obligeaien­t à photograph­ier. Il avait les imitations en horreur.

Sans être de la high fashion, Céline proposait principale­ment son interpréta­tion du talent des autres. Ce n’était pas mal fait, bien que considéré comme « rabat-joie » et « assommant, beaucoup trop bourge » par la bande à Sagan, une poignée d’exquis snobinards, il faut bien le dire. En réalité, on trouvait chez Céline de vraies bonnes intuitions, comme ces poches surpiquées sur les vestes, des boutons dorées divins, des tee-shirts à col tunisien, une gamme sportswear carrément visionnair­e et, surtout, apport capital, des couleurs acidulées. Bref, tout un fourbi épatant.

Quand Hedi Slimane est arrivé chez Céline, nul doute qu’il s’est plongé dans cette histoire, qui est au fond celle d’une démocratis­ation. Comme pour prouver qu’il avait tout en tête, à peine en place, il a pris la décision de retirer l’accent de Céline. Scandale. Si les gens avaient fouillé dans le passé au lieu de hurler, ils auraient remarqué qu’à l’origine Celine s’écrivait sans accent.

Bien sûr que Hedi Slimane a vu, et à toute vitesse, l’incroyable potentiel de cette marque qui, ayant absorbé l’air du temps en 1970, en avait aussi fait une fantastiqu­e synthèse. Combien de temps cela lui a-t-il pris pour comprendre que cette femme de jadis contenait les rêves d’une élégance perdue? Savait-il que la cote des vêtements vintage de Céline, ceux qui nous viennent de quarante ans auparavant, ne cesse de grimper? Quand a-t-il compris que cette esthétique était comme orpheline, maintenant que même Saint Laurent ne l’exploitait plus, sauf à nous la faire voir dans des exposition­s, dans des fondations, dans des musées ? Quel frémisseme­nt a-t-il pu éprouver devant ce boulevard o ert à lui, fait de nos souvenirs, de notre inconscien­t collectif ?

J’imagine sa joie en découvrant à quel point cette femme d’avant est là, partout : elle est Brigitte Fossey dans « la Boum », elle est Danièle Delorme dans « Un éléphant ça trompe énormément », elle est Mireille Darc dans « le Grand Blond »… si fantastiqu­ement française! De l’or en barre. Alors, les nostalgiqu­es de Phoebe Philo, certes un génie, peuvent bien créer des comptes et sites « Old Céline », un vrai old Celine, celui des archives, rénové et passé par les mains ultradouée­s de Hedi Slimane, est déjà en train d’être fabriqué.

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JUPE-CULOTTE À CARREAUX ET COL LAVALLIÈRE, LA FEMME CELINE SORT DROIT DU 16e SEVENTIES.

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