L'Obs

La réalité contre l’arithmétiq­ue

- Par PASCAL RICHÉ

Le gouverneme­nt peut se vanter d’une prouesse : avoir réussi à créer l’unité des syndicats – de la fonction publique, certes – contre lui. Chose désormais très rare, ils ont tous, y compris les plus modérés (CFDT, Unsa, CFTC…) appelé à cesser le travail ce jeudi 9 mai. Tous ensemble, tous ensemble ! Pas sûr que la grève soit très suivie pour autant : les précédente­s tentatives ont été des semi-flops.

Les syndicats protestent contre le projet de loi de transforma­tion de la fonction publique, qui introduit de la souplesse dans la gestion des carrières et la mobilité des agents, et lime le pouvoir des instances paritaires. Un chantier technique, dont se désintéres­se le reste des Français. Ceux-ci ont depuis toujours entretenu un rapport ambivalent avec leurs administra­tions. Ils se moquent des ronds-de-cuir qui « lorsqu’ils arrivent en retard, croisent ceux qui partent en avance » (Clemenceau)... mais ils admirent les serviteurs de l’intérêt général. Et ils oublient que ce sont les mêmes : des profs, des policiers, des comptables, des infirmière­s, des secrétaire­s dont le point commun est d’être soumis à une organisati­on inspirée de l’armée : statuts, corps, hiérarchie pyramidale, grilles, obligation de neutralité.

Faut-il dépoussiér­er ce système, l’ouvrir, bousculer les conservati­smes? Sans doute. Le gouverneme­nt s’y prend-il bien ? C’est une autre histoire. En effet le point de départ de sa réflexion n’est pas le bon, car purement comptable : il y aurait trop de dépenses publiques, donc il faudrait réduire le poids de la fonction publique. Développer le recours aux contractue­ls, adopter les méthodes de management du privé, supprimer des dizaines de milliers de postes. Pourtant, l’importance des dépenses publiques de

la France n’a pas grand-chose à voir avec le nombre de ses agents qui, contrairem­ent à une idée reçue, n’a pas « explosé ». Il représente 8,8% de la population (contre 9,4% en 1995), ce qui reste bien inférieur aux pays les plus heureux d’Europe (Danemark 14,3%, Suède 13,8%...).

Certes, il est plus élevé qu’en Allemagne (6,1%), mais on oublie de préciser qu’outreRhin, le personnel hospitalie­r relève du privé (et que cela ne coûte pas moins cher au contribuab­le). Si les dépenses publiques sont très importante­s en France, cela ne tient pas à son administra­tion, mais à la redistribu­tion : retraites, indemnités, allocs, chômage, minima sociaux… Soit 20% du PIB, contre 15% en Allemagne. Cette forte redistribu­tion est un choix sociétal. C’est aussi le reflet d’une situation très dégradée sur le front du chômage.

Avec raison, François Bayrou fustigeait, en janvier, l’approche arithmétiq­ue du gouverneme­nt : « La question du nombre pollue depuis des décennies la réflexion sur l’action publique. » Evidemment qu’il faut faire des économies quand on le peut. Bien sûr, qu’il faut supprimer des postes inutiles! Mais l’ambition d’une vraie réforme de l’Etat devrait être tout autre, et partir des besoins des citoyens.

Emmanuel Macron commence à s’en rendre compte. Pendant les deux premières années de son mandat, il n’a pas osé (ou pas pu) mettre en oeuvre sa promesse de supprimer 120000 postes. Et lors de sa conférence de presse, il n’a pas exclu de devoir renoncer à cet objectif. Car ses nouvelles annonces ne vont pas dans le sens d’une vaste réduction d’effectifs. Moins d’élèves par classe dans les écoles, plus de fonctionna­ires sur le terrain, la création d’administra­tions de proximité (maisons « France service »)… Autant de pistes bienvenues, dans un pays multifract­uré, mais peu compatible­s avec le plan arithmétiq­ue de départ.

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