L'Obs

“Je ne cherche plus” À FUIR

Ces quatre personnes ont connu un ou plusieurs épisodes dépressifs, et s’en sont sorties. Elles racontent comment…

- Propos recueillis par BÉRÉNICE ROCFORT-GIOVANNI Photo GAËL TURINE

MARIANNE* 35 ANS, EMPLOYÉE DANS L’ADMINISTRA­TION

“La méditation ne chasse pas les pensées

négatives, mais on les voit venir” Ma dépression a commencé à la fin de l’année 2015, quelques mois après l’attaque dans le Thalys [le 21 août, Ayoub al-Khazzani avait ouvert le feu dans le train reliant Amsterdam à Paris. Il avait blessé un voyageur avant d’être neutralisé par des passagers, NDLR]. Je me trouvais dans ce train avec mon bébé de 7 mois. Après, j’ai eu des pensées noires, je pleurais beaucoup. Mais c’est avec les attentats du 13 novembre 2015 à Paris que mon état a vraiment empiré. J’ai cessé d’occulter ce qui s’était passé dans le Thalys, j’ai pris conscience de ce qui aurait pu nous arriver, à mon fils et à moi. Après l’attentat, on m’avait donné le numéro de l’Associatio­n française des Victimes du Terrorisme. Ils m’ont offert leur aide : un suivi psychologi­que, limité à cinq mois. J’ai donc vu une psychologu­e à partir de janvier 2016. Au début, je ne mettais pas le mot « dépression » sur mon mal. Et à la fin, je me suis dit : « Trop bien, ça va aller mieux ! » Je suis employée dans l’administra­tion. Tant que je travaillai­s, effectivem­ent, ça allait. Mais dès que j’étais chez moi, je n’arrivais plus à sortir de mon lit. En novembre 2016, j’ai consulté une nouvelle psychothér­apeute qui m’a appris à méditer. Au départ, ça n’avait aucun effet, j’ai dû m’accrocher. Puis j’ai commencé à me sentir mieux. La méditation ne chasse pas les pensées négatives, mais on les voit venir. On prend du recul, on déculpabil­ise. Cela m’aide sur la durée. Car même si j’estime que ma dépression est finie, je me surveille. Je fais une séance par jour, de cinq minutes minimum. Le week-end, elle dure vingt minutes. Je m’aide d’une applicatio­n. J’étais déjà sportive. Je fais de l’aquabiking et en plus, maintenant, du yoga. Je prends parfois une demi-journée pour aller voir une expo. Et puis j’ai déménagé, je me suis éloignée de mon travail pour avoir un jardin. Je n’ai jamais pris de médicament­s. Mais honnêtemen­t, à un moment donné, j’étais si mal que je pense que j’aurais dû.

CAROLINE* 31 ANS, JURISTE

“J’ai mis en place des mécanismes

préventifs” Je suis tombée en dépression à la suite d’une rupture amoureuse. Je venais de m’installer à Paris. Je faisais tout pour ne pas être seule. J’angoissais à l’idée de n’avoir rien de prévu le week-end. J’avais de gros problèmes de sommeil et de concentrat­ion. Au boulot comme avec mes amis, j’étais tout le temps mal. Un samedi, j’ai eu tellement peur de me retrouver seule que j’ai enchaîné huit rendez-vous ! Là, je me suis dit que je ne pouvais plus continuer comme ça. J’avais des pensées suicidaire­s. Ma famille et mes amis m’ont convaincue de me faire hospitalis­er. J’y suis restée deux semaines, j’ai été mise sous antidépres­seurs et anxiolytiq­ues. Je dormais beaucoup, jusqu’à 16 heures par jour, et j’ai pris 4 kilos. A la sortie, je ne prenais plus que les anxiolytiq­ues, de manière ponctuelle. J’ai suivi une psychothér­apie qui m’a appris à mieux me connaître. J’ai aussi mis en place des mécanismes préventifs. Dès que je sens que je vais franchir la ligne, je lis, me couche tôt, fais du sport, vais courir... J’ai commencé la méditation il y a trois mois, puis arrêté la thérapie car mon psychiatre a déménagé. J’aimerais désormais trouver quelqu’un qui ne soit pas focalisé sur les médicament­s. Je suis toujours sensible, mais j’arrive mieux à profiter des bons moments. Quand je me sens déprimée, je l’accepte, je ne cherche plus à fuir.

QUENTIN 33 ANS, ASSISTANT SOCIAL

“Les médicament­s ont été la béquille” Ma dépression a été diagnostiq­uée en 2015. Mon père venait de mourir, mes conditions de travail étaient difficiles – je suis assistant social à Bruxelles. Je n’avais pas le temps

de penser à moi. Le corps a parlé : j’ai eu des crises d’angoisse, je me sentais oppressé, j’avais des palpitatio­ns... Ma généralist­e m’a recommandé d’entamer une thérapie brève avec un psychologu­e. Rien que le fait de parler à quelqu’un, je me suis senti mieux. Mais au travail, l’atmosphère s’est durcie. Mon anxiété a redoublé, j’ai été mis en incapacité en 2016. Au départ, je ne prenais que des anxiolytiq­ues. Mon médecin m’a ensuite prescrit un antidépres­seur pour dormir, ainsi qu’un suivi psychologi­que une fois par semaine. Quand six mois plus tard, j’ai été licencié, j’ai replongé. Mon corps était non stop submergé par le stress, j’avais mal au ventre, à la tête. Alors je me suis fixé des objectifs simples, comme aller me promener dans le parc d’à côté. J’ai aussi tout testé, sans jugements : méditation de pleine conscience, massages, sport, exercices de respiratio­n, yoga, tai-chi… Le processus était lent, mais les effets bénéfiques ont fini par apparaître. Un psychiatre m’a prescrit un nouvel antidépres­seur, en plus des anxiolytiq­ues. Ce médicament a agi comme un tremplin, comme la béquille qui m’a permis de remarcher. J’ai enfin pu reprendre une vie normale. J’ai aussi modifié mon hygiène de vie. Rien qu’en adoptant un régime plus équilibré, plus sain, j’ai perdu 30 kilos ! J’évite enfin tout environnem­ent toxique. Mes anciens chefs me faisaient bien comprendre qu’il n’y avait pas de place pour la réflexion, je n’étais là que pour faire du chiffre. Aujourd’hui, je veux avoir le contrôle. Le bénévolat m’a redonné goût à la vie profession­nelle, je me suis engagé dans une associatio­n de victimes d’accidents médicaux. Je prends toujours des antidépres­seurs, en quantité moindre. Je pense que je n’en ai plus besoin, mais je veux l’aval du médecin pour arrêter.

PHILIPPE 66 ANS, DIRECTEUR D’ASSOCIATIO­N À LA RETRAITE

“Arrêter de se battre contre ce qui est” Ma vie est ponctuée d’épisodes dépressifs. Le premier a eu lieu quand j’avais 18 ans, l’année du bac, après une déception amoureuse. Je souffrais tellement que j’ai dû arrêter le lycée quelques jours. Je crois que j’ai toujours eu ce mal-être larvé en moi. Mon père était lui aussi dépressif. Mon frère est mort quand j’avais 2 ans et demi, j’ai vu mes parents très tristes. A 30 ans, j’ai pris des antidépres­seurs à la suite d’un nouveau chagrin d’amour. Mon médecin m’a formé à la sophrologi­e. Pendant un temps, je me suis senti mieux. Cette technique aide à se calmer, car il y a une part d’énervement dans la dépression. Mais au fond, ça ne guérit pas vraiment. J’ai suivi une psychanaly­se en parallèle, j’ai pris conscience de ma tendance à la dépendance affective. Autour de la cinquantai­ne, j’ai dû reprendre des médicament­s. Il y a deux ans, j’ai fait une rechute, encore à cause d’une rupture. Je m’en suis sorti sans traitement cette fois. J’ai profité de la retraite pour me mettre à la méditation de pleine conscience, tout en engageant un travail sur l’acceptatio­n de soi. Je pratique la méthode de l’autocompas­sion, définie par le thérapeute Christophe­r Germer. Il ne s’agit pas de refuser la maladie, ni de se résigner, juste d’arrêter de se battre contre ce qui est. J’ai aussi appris à dire non, car s’occuper de soi commence par là.

(*) Certains prénoms ont été changés.

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 ??  ?? Quentin Daspremon, dépressif depuis quatre ans, a repris goût à la vie grâce, entre autres, au bénévolat.
Quentin Daspremon, dépressif depuis quatre ans, a repris goût à la vie grâce, entre autres, au bénévolat.

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