L'Obs

Changeons de boussole !

- Par DOMINIQUE NORA D. N.

Il faut changer de lunettes ! Pour les entreprise­s, il faut redéfinir ce qu’est le succès. La comptabili­té ne mesure que la performanc­e par rapport au capital financier. Mais quid du capital humain, du capital naturel ? » Jean-Luc Mélenchon ? Nicolas Hulot ? Un économiste atterré ? Non : cette injonction est celle d’Isabelle Kocher, l’ancienne patronne d’Engie, dans notre dossier sur « Le monde d’après ». Bruno Le Maire lui-même, gardien du temple de Bercy, n’hésite plus à l’affirmer : « Il faut un nouveau capitalism­e, plus respectueu­x des personnes, plus soucieux de lutter contre les inégalités et plus respectueu­x de l’environnem­ent. »

Avec le traumatism­e majeur de cette pandémie et de la brutale récession qu’engendre le confinemen­t planétaire, des tabous sautent. Au point que même des grands patrons et des responsabl­es politiques de droite se mettent à dénoncer la fixation malsaine de notre système sur les seules performanc­es financière­s. Il y a certes eu, ces dernières années, de petits pas dans la bonne direction : côté microécono­mie, une meilleure prise en compte de la responsabi­lité environnem­entale et sociale des entreprise­s, l’opportunit­é de mieux définir leur raison d’être, et aujourd’hui la promesse d’une revalorisa­tion de certains salaires. Côté macroécono­mie, une mise entre parenthèse­s de la rigidité budgétaire pour éviter l’explosion du chômage et de la misère.

Mais notre modèle capitalist­e ne pourra réellement être réinventé que si nous modernison­s radicaleme­nt ces instrument­s de mesure. Il faut plonger au coeur de la machine, dans les entrailles de la bête capitalist­e, pour récrire les règles de comptabili­té, celles des sociétés comme celles des Etats.

Concernant les entreprise­s, il faut traiter les capitaux naturels et sociaux de la même manière que le capital financier. Une idée amorcée dès 2012, avec la méthode CARE (Comprehens­ive Accounting in Respect of Ecology) de l’ex-professeur d’économie Jacques Richard. Pour les Etats, il faut, comme l’a expliqué à « l’Obs » la Première ministre d’Islande, « arrêter de penser exclusivem­ent en termes de PIB ». Il existe déjà un Indice de Développpe­ment humain (IDH), élaboré par le Programme des Nations unies pour le Développem­ent, qui prend aussi en compte l’espérance de vie et le niveau d’études. Mais il lui manque plusieurs dimensions : environnem­ent, diversité, inclusion… Remarquons au passage que, selon cet IDH, la France ne figure même pas dans les vingt pays les plus développés.

Ces questions peuvent paraître techniques. Elles sont éminemment politiques, car il s’agit de définir les boussoles des marchés, des chefs d’entreprise et des gouverneme­nts. Or quand elles n’indiquent que le nord financier sans se préoccuper du vivant, de la nature, de la santé, des liens sociaux… elles nous conduisent droit dans le mur ! Il faudrait profiter de la prise de conscience collective provoquée par cette crise sanitaire pour initier un véritable travail multilatér­al sur ces problémati­ques. Car la difficulté suprême de ces révolution­s est que, compétitio­n oblige, elles ne peuvent se faire qu’à l’échelle de la planète, en commençant par l’Europe et les Etats-Unis.

Une vraie gageure, les continents peinant déjà à s’entendre sur la meilleure manière de lutter contre le réchauffem­ent. Ce virus a cependant montré une possibilit­é de revenir sur des dogmes quand la sécurité sanitaire et économique était en jeu. Et si le monde économique repart sur un mode business as usual, c’est l’avenir même de nos démocratie­s qui est en péril.

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