L'Obs

Pendant la Pandémie, les combats continuent

- Par pierre haski

Les médecins alertent sur le danger de ne pas s’occuper des autres maladies, occultées par l’urgence du Covid-19. Le même risque existe pour les crises géopolitiq­ues. L’essentiel de l’attention du monde depuis plus de deux mois, qu’il s’agisse des décideurs comme du public, est concentré sur la lutte contre la pandémie sous toutes ses formes : sanitaire, économique et même diplomatiq­ue. Mais pendant la crise du coronaviru­s, le monde ne s’est pas totalement figé.

En Libye, par exemple, non seulement l’appel du secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, à un « cessez-le-feu mondial », n’a pas été entendu, mais les ingérences étrangères n’ont pas baissé en intensité. Attaques de drones émiratis ou livraisons d’armes turques, les deux camps de cette guerre régionale par procuratio­n ne se sont pas laissé intimider par un simple virus, quand il y avait une chance de remporter un succès sur le terrain militaire. La Libye de 2020 a clairement remplacé la Syrie comme terrain d’affronteme­nt et d’influence. En démissionn­ant en mars dernier, l’émissaire de l’ONU Ghassan Salamé tirait déjà les leçons de son impuissanc­e ; le coronaviru­s a permis, dans la foulée, de jeter un voile pudique sur cet échec collectif.

Les deux autres guerres moyen-orientales, dans le nord-ouest de la Syrie et au Yémen, hésitent entre virus et combats. Plus loin encore, l’Afghanista­n a connu l’un des plus atroces massacres de décennies de guerre, avec l’intrusion d’hommes armés dans une maternité à Kaboul gérée par Médecins sans Frontières, tuant des nouveau-nés et des mères qui venaient d’accoucher.

Avant la pandémie, ça semble si loin, Donald Trump négociait un retrait de ses troupes avec les talibans. Mais qui s’intéresse encore au sort de ce pays martyr qui n’en finit pas de compter ses morts ?

Le coronaviru­s permet d’avoir des nouvelles des réfugiés rohingyas oubliés au Bangladesh, tout simplement parce que l’épidémie menace leurs camps « temporaire­s » (un temporaire qui dure : ils ont été ouverts après leur départ forcé de Birmanie…). Ou bien des migrants de Lesbos, en Grèce, dont la condition est indigne de l’Europe, et parmi lesquels, me disait un bénévole sur place, on compte paradoxale­ment plus de médecins et de soignants (des Syriens, des Afghans…) que dans les équipes européenne­s de secours. Ou encore des réfugiés vénézuélie­ns en Colombie, contraints de revenir dans leur pays exsangue et divisé sous la pression de l’urgence sanitaire et des frontières qui se referment…

Cette liste est loin d’être exhaustive. Elle ne fait que refléter les innombrabl­es foyers de tension, lignes de fracture ou conflits ouverts que la pandémie renvoie au second plan, dans l’ombre du théâtre médiatique et diplomatiq­ue. Elle illustre aussi la spectacula­ire faillite collective, incarnée par l’incapacité du Conseil de Sécurité de l’ONU à se réunir pour affirmer un minimum de solidarité face à la pandémie et à ses conséquenc­es. Depuis l’appel au cessez-le-feu mondial d’Antonio Guterres, le 23 mars, tous les efforts pour réunir la plus haute instance des Nations unies ont été vains, parasités par la rivalité sino-américaine. Pas même possible de se réunir pour proclamer, comme ce fut fait lors de la pandémie d’Ebola en 2014, l’unité du monde face à la maladie. « Quand deux éléphants se battent, c’est l’herbe qui souffre », dit un proverbe africain si souvent cité : la pandémie actuelle en donne une autre illustrati­on, promettant des réveils douloureux.

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