Spécial placements
La crise liée au Covid-19 a créé pendant quelques séances un vent de panique sur les marchés financiers. Depuis, ils ont rebondi, puis à nouveau été secoués. Dans un contexte aussi instable, comment investir?
Les épargnants face à l’ouragan
La pandémie met à genoux l’économie mondiale. Quelle stratégie pour protéger et réorienter son épargne ? La déflagration est historique. Un seul point de consensus à ce jour chez les économistes : la crise à venir sera violente. Alors que le gouvernement anticipe une contraction de 8% du PIB français en 2020, nombre d’experts redoutent une récession plus sévère. La Commission européenne table, elle, sur une chute record de l’activité de 7,7% en zone euro pour cette année, mais espère un rebond de 6,3% dès 2021. Quand et à quel rythme la machine productive va-t-elle redémarrer ? Si tant est qu’un retour à une activité normalisée dans le « monde d’après » soit réaliste…
Les marchés ont plongé dans un premier temps, puis se sont partiellement ressaisis, mais en fin de semaine dernière, les soubresauts ont repris : le pire a été évité, au prix d’une mobilisation exceptionnelle des banques centrales et des Etats, les premières pour assurer la liquidité sans limite du système financier, les seconds pour improviser de très puissants amortisseurs sociaux, soutenant à bout de bras la demande et tentant d’éviter la multiplication des faillites d’entreprises. Mais qu’en serat-il demain ? C’est là que la science rétroactive des experts s’arrête pour se contenter de scénarios prospectifs révisables : crise future de la dette ? Reprise de l’inflation ? Poursuite de la chute des prix du pétrole ? Krach de l’immobilier ? Nouvelle flambée de l’or ? Chaque hypothèse a ses adeptes et ses contradicteurs. Autant dire qu’inédite par sa nature et son ampleur, cette crise pourrait bien déjouer tous les modèles économiques.
Adaptabilité, réactivité, sérénité… l’épargnant est invité à renouveler ses mantras. A ne pas prendre de risques au-dessus de ses moyens, mais à ne pas passer à côté des effets d’aubaine que cette situation exceptionnelle peut offrir.
La chute brutale des marchés financiers entre fin février et mi-mars n’a pas fait que des malheureux. De nombreux épargnants se sont rués sur les titres décotés, profitant de ces « creux de marché » à répétition. Fin avril, l’Autorité des Marchés financiers (AMF), l’organe de régulation de la Bourse, dénombrait 150000 épargnants investisseurs ayant fait leur entrée sur les valeurs du SBF120 (indice boursier français comprenant les 40 valeurs du CAC40 plus 80 autres valeurs à forte capitalisation boursière) sur la seule période allant du 24 février au 3 avril, soit en plein confinement. Durant cette même période, les achats d’actions françaises émanant des particuliers ont été multipliés par quatre par rapport à la même période de 2019. Même constat chez les banques en ligne comme ING, Boursorama et Orange Bank. Cet appétit pour les actions a aussi été constaté chez les professionnels. Ainsi la plateforme
Alpheys, utilisée par des conseillers en gestion de patrimoine en France, a signalé un triplement des ouvertures de comptes titres les quatre premières semaines du confinement. « Fin mai, le nombre d’ouvertures sera identique à celui enregistré en 2019 », signale Sisouphan Tran, directeur général délégué chez Alpheys. « La volatilité des marchés constitue une aubaine pour les professionnels du patrimoine car elle représente des opportunités d’investissements », commente-t-il.
EN ATTENDANT UNE AUTRE CORRECTION
Depuis ces derniers krachs, la Bourse a déjà rebondi aux Etats-Unis et en France. Le CAC 40, qui avait atteint un plus bas niveau à 3600 points le 18 mars dernier, évolue désormais autour de 4500 points. Cela reste bien en deçà des 6 000 points de la fin décembre 2019, soit un repli de plus de 25% en trois mois. Depuis le 11 mars, les marchés sont à nouveau en alerte avec la crainte d’une crise économique durable, y compris aux Etats-Unis.
Dans ces conditions, quelle stratégie de placement faut-il adopter ? Continuer à se renforcer, à arbitrer ou à céder ? Grâce aux mesures exceptionnelles de soutien des banques centrales et des pouvoirs publics, l’économie est maintenue sous oxygène. Après une récession annoncée comme historique, le retour de la croissance est dans toutes les têtes. Toutefois, « il faut être prudent car les scénarios économiques sont nombreux », prévient Eric Turjeman, directeur des gestions Actions et Convertibles chez OFI AM. « Il peut y avoir un redémarrage rapide autrement dit en forme de “V”, plus long en “U” ou même pas
de reprise du tout. Et d’ajouter: « La rechute est encore possible. »
Pour Vincent Guenzi aussi, stratège gérant chez Cholet Dupont, le marché est risqué. « Même si l’effondrement de l’économie a déjà été anticipé par les marchés financiers, la visibilité à court terme reste limitée, ajoute-t-il. Elle va dépendre du bon déroulement du déconfinement. Tout reste fragile car suspendu à une potentielle nouvelle reprise de l’épidémie. » En revanche, « d’ici à deux ou trois ans, on sait qu’il y aura un retour de la croissance ». « C’est tant mieux car pour investir en Bourse, il faut disposer d’un horizon de placement de cinq, sept, voire dix ans », rappelle Guillaume Eyssette, conseil de gestion de patrimoine au cabinet Gefinéo.
Dans ces conditions de marché et « en attendant une éventuelle deuxième vague de correction que personne n’est en mesure de prévoir, il va falloir plus que jamais se concentrer sur la sélection des valeurs. Car la dispersion entre les sociétés est encore plus marquée qu’avant cette crise», affirme Thomas Friedberger, directeur général de Tikehau Investment Management.
Pour beaucoup de professionnels, il va falloir désormais se concentrer sur des secteurs d’activités qui ont bien résisté ou profité de la crise comme la technologie, la transition énergétique, la santé, les jeux vidéo, la cybersécurité et les télécommunications. Et puis, au sein d’un même secteur, il va falloir être sélectif. « Mieux vaut cibler des sociétés déjà en bonne santé avant le confinement, peu endettées, ayant profité de cette période. A l’opposé, il faut éviter celles qui étaient fragiles et dont la situation risque d’empirer avec la baisse d’activité », résume Didier Saint-Georges, stratège chez Carmignac. Les grands perdants sont les secteurs des transports, du pétrole, les banques, le tourisme, l’aéronautique et l’automobile. Vous disposez de ces valeurs à faibles perspectives croissance dans votre portefeuille? « Il faut avoir le courage de se couper une main aujourd’hui plutôt que perdre un bras demain », affirme Vincent Guenzi. Mieux vaut vendre, assumer la moins-value, et réinvestir dans des titres plus prometteurs » (voir encadré).
Toutefois, la Bourse reste instable et tout peut basculer. « Après huit années de hausse presque continue, il est possible que le marché commence un nouveau cycle. Mais il est encore trop tôt pour le savoir », commente Didier Saint-Georges. Une chose est sûre, il n’existe pas de recette magique. « La meilleure parade consiste à diversifier ses investissements et à investir régulièrement sur la durée afin d’entrer à différents niveaux de marché. C’est un moyen efficace pour réduire l’impact d’éventuels nouveaux décrochages », conseille Albert d’Anthoüard, directeur de la clientèle privée chez Nalo.
La prudence reste donc de mise. Pour les plus frileux, « mieux vaut attendre avant d’investir en Bourse quitte à rater quelques séances de hausses plutôt que de monter trop vite dans un train sans savoir vraiment encore où il va », résume Serge Pizem, responsable de la multigestion d’AXA IM.