Phénomène
#passioncéramique
Autrefois passe-temps un peu vieillot, la céramique est devenue un hobby prisé. Et sert désormais de reconversion aux urbains en quête de sens
En poussant la porte d’un immeuble haussmannien, on découvre un endroit des plus charmants: une cour pavée, baignée de lumière et de végétation, plongée dans un calme quasiment inédit dans la capitale. Seul un chat aux aguets fait office de vigie derrière un pot de fleurs. Plus haut dans les étages, une porte rouge mène à un petit atelier partagé par trois artistes. Parmi elles, Claire Cosnefroy. Cette trentenaire, ancienne rédactrice en chef adjointe mode d’un magazine féminin, a intégré cet atelier il y a quelques mois après avoir passé dix ans au coeur d’une fabrique de tendances.
La jeune femme s’est lancée dans une activité de céramiste quasiment à temps plein: « Ce studio est à sept minutes à pied de chez moi, j’y vais tous les jours. J’avais commencé à prendre des cours il y a trois ans, entraînée par une copine. A l’époque, je n’avais pas vraiment le temps de m’y consacrer, j’en faisais une fois par mois, il m’arrivait même de louper des cours. Mais en quittant mon ancien poste, ça a été le déclic : j’ai eu besoin de reprendre une activité manuelle et d’en faire », relatet-elle en montrant comment réaliser un bol à partir d’une boule de terre. « Tu mets ton pouce au milieu et tu perces la boule pour commencer le pot. Ensuite, tu utilises ton pouce comme un axe pour former ta pièce, tu t’en sers comme d’un tour de potier. » Exactement comme dans le film « Ghost », lors de la scène céramico-sensuelle au cours de laquelle Demi Moore réalise une pièce avec Patrick Swayze, leurs mains mêlées autour du pot. Elle n’y a, dit-elle, jamais songé et, de toute façon, elle n’a pas de véritable tour de potier dans son atelier. Ce qui l’a réellement motivée, c’est de se retrouver « centrée » : « Quand j’ai recommencé à prendre des cours, pendant trois heures je n’ai pas touché à mon téléphone et à la fin, j’avais un objet concret dans les mains. Le tour, c’est technique, ça oblige à être vraiment concentré, construire autour du vide et prendre un risque car, à la fin, tu ne sais pas si ta pièce va sortir conforme à tes désirs. » Et de préciser qu’il existe trois grandes familles de « terres », regroupées sous le terme céramique : le grès, la faïence et la porcelaine, avec des temps de cuisson et des rendus différents, mais que toute argile cuite devient forcément de la céramique.
SE RAPPROCHER DE L’ESSENTIEL
Si elle est allergique au terme « développement personnel » volontiers associé à sa pratique, Marion Graux estime, elle aussi, que son activité l’a rapprochée de l’essentiel. A 38 ans, cette céramiste pratique depuis dix ans. Comment cette styliste déco en est arrivée là ? « J’ai perdu deux gros clients, et parallèlement à ça, ce qu’on me demandait dans la pub n’était plus aligné avec mon idée du beau. On me demandait de mettre des talons sur des filles à la plage… » soupiret-elle. Après avoir passé un CAP de tourneur et s’être formée auprès d’une potière en Bourgogne pour apprendre à tenir un atelier, elle a ouvert son lieu et s’est mise à travailler avec les restaurants et les chefs, comme Hélène Darroze ou encore Guy Martin. « Fabriquer des objets dans lesquels on mange, c’est hyper satisfaisant », confie-t-elle. Ce n’est pas l’acteur hollywoodien Seth Rogen qui dira le contraire, lui qui passe son temps à montrer ses créations à ses 8 millions d’abonnés sur Instagram. Il n’est d’ailleurs pas le premier, la presse people se délecte du fait que Leonardo DiCaprio rejoint régulièrement Brad Pitt dans son atelier de sculpture de Los Angeles pour mettre la main à la pâte.
La mode en France est telle que les demandes de formation à la céramique, professionnelle ou non, explosent. « Ces métiers sont attractifs et génèrent beaucoup de reconversions car c’est un univers vaste qui permet une grande expression créative et où l’on trouve
“Fabriquer des objets dans lesquels on mange, c’est hyper satisfaisant.” MARION GRAUX, CÉRAMISTE
beaucoup de sens », confirme Aude Tahon, présidente d’Ateliers Art de France et propriétaire d’Empreintes, concept store lancé en 2016. « C’est un terrain de jeux et de recherches infini. Le grès et la porcelaine s’autovitrifient même sans émail. La faïence reste poreuse après la cuisson. On est proche de la chimie et on peut passer de la petite pièce figurative à l’objet unique proche de la sculpture ou de l’installation d’art contemporain », souligne la céramiste Aurélie Dorard. Résultat, avec 39 % de parts de marché en 2019, le métier de céramiste est l’un des principaux domaines d’activités proposé par Ateliers Art de France, selon l’Observatoire national des métiers d’art.
Même engouement observé par Grégoire Scalabre. A 45 ans, ce Parisien fait partie des figures incontournables de la céramique dans la capitale. Lui est tombé dedans quand il était petit. A 10 ans, il annonce à son père avoir trouvé sa voie. Aujourd’hui, cet hyperactif a monté avec Christophe Bonnard une école, Arts et Techniques Céramiques. Ils dirigeront en 2021 le Modern Ceramique Studio, installé dans la caserne des Minimes, au coeur du Marais. Il dispense aussi des formations à l’Atelier Mercier, qui accueille des élèves trois jours par mois pendant dix mois à Montreuil. Surtout, son carnet de cours est plein: « Il y a un an et demi d’attente. Ça fait quelques années que j’observe cela et c’est loin de se calmer. Il y a un tel ras-le-bol que de nombreuses personnes cassées par le travail, dans des domaines hyper créatifs comme l’architecture, le design ou le journalisme, ont envie de se faire du bien. »
On retrouve encore une fois la « parenthèse temporelle » au cours de laquelle on doit focaliser l’attention, proche de la méditation. C’est en tout cas une des explications avancées par Alexandra Jubé, directrice du cabinet de tendances éponyme. « Cette pratique fait sens autant pour l’allongement du temps que pour l’expression d’une créativité. Les personnes en reconversion souhaitent faire des choses de leurs mains et ils y glissent des codes de leurs anciens métiers. Ils ne veulent pas être de simples exécutants, ils veulent y apporter leur patte. » A l’instar d’Alix D. Reynis, qui a choisi de ne créer que des prototypes, des formes anciennes adaptées aux vies contemporaines, pour pouvoir se concentrer sur le développement de sa marque, son image et sa communication. La créatrice de mode Valentine Gauthier a, elle, ouvert Holism, un lieu participatif dans lequel elle propose sa collection et permet aux personnes dont elle aime le travail de vendre leurs produits. On y trouve des pièces uniques, notamment des jarres anciennes du Maroc, datant du xvie et xviie siècle, chinées au compte-gouttes. « J’adore l’idée de proposer des pièces uniques qui ont une histoire. Cela me procure l’énergie, même si mon but n’est pas d’en vivre. Je veux plutôt montrer qu’on peut consommer différemment. C’est d’ailleurs plus facile de le faire comprendre à travers un objet qu’à travers un vêtement. »
“TOUCHER LA JOIE”
Faut-il y voir le début d’un mouvement de fond depuis que Saint Laurent et Sessùn proposent, eux aussi, des pièces de céramique ? « Les marques veulent se diversifier, analyse Alexandra Jubé. Cela leur permet de se raconter autrement et de donner plus de profondeur à leur récit. Collaborer avec des artisans céramistes, c’est une manière de s’élever et de donner plus de sens à leur proposition. » Par ricochet, elles se placent aussi dans une démarche plus artisanale. Un cercle vertueux qui devrait pousser Claire, céramiste en devenir, à faire cette formation approfondie dont elle rêve à Saint-Amand-en-Puisaye, pour continuer à toucher des mains la « joie ». Il reste à savoir si la pandémie et la crise économique ne vont pas casser le moule d’une reconversion à peine commencée.
De son côté, Alix D. Reynis envisage l’avenir plutôt sereinement : « J’ai le sentiment que les démarches authentiques comme la mienne vont continuer de séduire. » Même sensation pour Claire, l’apprentie céramiste: « Ce confinement m’a confortée dans ce changement. Ça me procure tellement de joie que j’ai vraiment envie de la transmettre. » Trouver sa propre activité, c’est une chose mais les gens auront-ils de l’argent à investir dans des bols à 30 euros ? « On a remis l’e-shop en route à la moitié du confinement et on a constaté que ça commençait à reprendre », explique Alix D. Reynis. Elle a commencé à adapter la gestion de son entreprise en réduisant certains budgets : « On va passer nos créations à moins haute température, ce qui permettra d’économiser de l’énergie et d’avoir des pièces plus belles. » Un bon résumé de ce début de nouvelle vie.