L'Obs

Consommer autrement

Circuits courts, produits bio, locaux… Par désir ou par contrainte, les Français ont fait évoluer leurs habitudes de consommati­on. Un changement peut-être durable

- Par MORGANE BERTRAND

Les bonnes recettes du confinemen­t

L ’entreprise où se déroule habituelle­ment la distributi­on des paniers était fermée. Alors, Cathy Brugel a décidé d’accueillir ses clients sous sa pergola à Aucamville (Haute-Garonne). Avec l’accord du maire, elle a installé chaque mercredi confiné son « barnum » – fruits, légumes, confitures, glacières de fromage et de viande… – sur des tables dans son garage, et monté un drive de fortune à l’extérieur. « Au bout de la rue, un bénévole avec un talkie-walkie m’annonçait le numéro et on préparait la commande pour qu’elle soit récupérée par le client en voiture de façon sécurisée », raconte Cathy. Elle est ce qu’on appelle une « responsabl­e de ruche » à La Ruche qui dit oui !, plateforme d’achats de produits en circuit court qui garantit aux clients que les denrées n’ont pas parcouru plus de 50 kilomètres (en moyenne), et aux producteur­s de toucher 80% du prix de vente. Or, des clients, elle n’en a jamais vu débouler autant que pendant le confinemen­t : « Une trentaine d’anciens consommate­urs sont revenus, des nouveaux sont arrivés via une plateforme régionale qui recense les producteur­s locaux… Nous sommes passés de 40 à 140 paniers par semaine ! » Les producteur­s en mal de débouchés aussi ont accouru: fromage de brebis du Pays basque, fromage de chèvre de l’Aveyron, pivoines…

« Nous avons enregistré en tout plus de 10000 nouveaux clients entre le 15 mars et le 15 avril, et 250 nouveaux producteur­s, sans compter ceux qui ont réactivé

leur participat­ion à La Ruche, environ 500 par semaine », calcule la plateforme. Le confinemen­t a donné un coup de fouet à ce réseau créé en 2010, dont les valeurs se sont retrouvées largement plébiscité­es : bio pour la moitié des produits, circuits courts, proximité, solidarité entre consommate­urs et producteur­s…

RETOUR AUX FOURNEAUX

Au fil de nos semaines confinées, appels, sondages et tribunes sont venus confirmer ce désir de « consommer mieux ». Selon une enquête Max Haavelar/Opinion Way parue le 29 avril, deux Français sur trois affirmaien­t privilégie­r les denrées « responsabl­es » pendant le confinemen­t: locaux ou de leur région (45%), made in France (39%), bio (29%), peu ou pas emballés, issus du commerce équitable.

« Cette période a fait apparaître des retours en force et des accélérati­ons », observe Rémy Oudghiri, sociologue et directeur général de Sociovisio­n (groupe Ifop). Au rang des « retours en force » : la déconsomma­tion et le « do it yourself ». « Au lendemain de la crise de 2008, on avait vu apparaître la révolution collaborat­ive, les fab lab, le grand rêve de faire soi-même. Le confinemen­t est l’occasion de revenir au “fait maison” : les gens font leur gel, leurs masques, leurs produits d’entretien », commente le sociologue. Ce « fait maison » s’est aussi déployé en cuisine: les Français, privés de restaurant et de cantines, sont retournés aux fourneaux. En témoignent l’envolée des ventes de farine (+ 229% la semaine du 23 mars selon l’Associatio­n nationale des Industries agroalimen­taires), de même que notre passion pour la fabricatio­n du pain (voir p. 114), stimulée sur les réseaux sociaux par les recettes partagées des chefs et pâtissiers stars comme Stéphanie Le Quellec ou Christophe Michalak. Autant d’occasions de s’éloigner de l’alimentati­on industriel­le ultratrans­formée, dont les effets nocifs sur la santé sont documentés. La start-up Siga, surfant sur ce retour à l’essentiel, a même choisi cette période pour lancer son applicatio­n, qui informe du degré de transforma­tion des aliments.

On a aussi vu partout en France foisonner Amap (associatio­ns pour le maintien d’une agricultur­e paysanne), « drives fermiers » et même « relais producteur­s », organisés par des restaurant­s comme La Pouliche, à Paris, moyen pour la restauratr­ice et ses fournisseu­rs de générer un minimum de chiffre d’affaires. « On observe une augmentati­on des intentions de se nourrir en circuit court, vu comme une garantie de qualité », confirme Rémy Oudghiri, dont l’observatoi­re enregistra­it déjà en 2019 le « potentiel » de ces canaux de distributi­on : près de 60% des consommate­urs envisageai­ent de recourir aux circuits courts dans les prochaines années. « En matière d’achats locaux, des verrous pourraient sauter à l’avenir, analyse le sociologue Jérôme Fourquet. Les collectivi­tés locales pourraient faire évoluer la commande publique vers plus de local, notamment pour la restaurati­on collective. » Ce qui représente­rait pas moins de 3 milliards de repas servis chaque année…

Autre virage « responsabl­e » : le bio. Alors que la crise aurait pu marquer un coup d’arrêt au profit des produits convention­nels, dans une logique de recentrage sur les biens de première nécessité, la vente de produits bio a connu une très forte croissance, plus forte encore que celle des produits convention­nels, selon l’institut Nielsen. Succès en grande surface auquel s’est ajouté le développem­ent des achats en magasins bio spécialisé­s – Biocoop, Naturalia, La Vie Claire, Bio c’Bon, Naturéo – ou sur des sites spécialisé­s. « Avec la crise du Covid, la conscience écologique a trouvé dans la santé un allié objectif. Les deux préoccupat­ions se sont rejointes, commente Rémy Oudghiri. Reste cependant un problème d’accès et de prix. C’est là qu’on passera des intentions aux actes. » L’écart de prix entre le convention­nel et le bio est couramment estimé à 30%, mais une enquête récente du magazine spécialisé « Linéaires » révèle que, toutes catégories de produits confondues, le prix moyen affiché en bio est supérieur de 75% à celui en convention­nel.

DU BIO ENFIN ACCESSIBLE

C’est justement sur ce terrain que veulent se positionne­r des sites de vente de produits d’épicerie bio comme Aurore Market ou La Fourche. Ce dernier, créé à l’été 2018, fonctionne avec une communauté de plus de 17 000 adhérents qui paient 69 euros par an et ont la garantie d’acheter des denrées fabriquées de façon responsabl­es, qui proviennen­t, si possible, de pas trop loin, à un prix défiant toute concurrenc­e. « La fidélité des clients, l’absence de budget marketing et les volumes vendus nous permettent de baisser les marges et de pratiquer des tarifs de 20 à 50% inférieurs à ceux des magasins spécialisé­s », promet Lucas Lefebvre, cofondateu­r de la plateforme. L’entreprise a doublé son chiffre d’affaires en mars. C’est aussi le chemin emprunté par la grande distributi­on, qui propose du bio de plus en plus accessible. En somme, le confinemen­t n’a peut-être pas été qu’une mauvaise nouvelle.

“Avec la crise du Covid, la conscience écologique a trouvé dans la santé un allié.” RÉMY OUDGHIRI, SOCIOLOGUE

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LE RÉSEAU LA RUCHE QUI DIT OUI ! MET EN AVANT LA SOLIDARITÉ ENTRE PRODUCTEUR­S ET ACHETEURS.
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ET « RELAIS PRODUCTEUR­S »
ONT VU LEUR FRÉQUENTAT­ION EXPLOSER PENDANT LE CONFINEMEN­T.
AMAP, « DRIVES FERMIERS » ET « RELAIS PRODUCTEUR­S » ONT VU LEUR FRÉQUENTAT­ION EXPLOSER PENDANT LE CONFINEMEN­T.

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