L'Obs

LES PAYS PÉTROLIERS DANS LA TEMPÊTE

- SARAH DIFFALAH

L’image est stupéfiant­e. Fin avril, l’océan Pacifique à Long Beach, en Californie, s’est couvert à perte de vue de dizaines de « supertanke­rs » qui n’ont nulle part où aller. Ces navires-citernes ont été réquisitio­nnés pour stocker la production de brut qui submerge le marché. En raison de la pandémie qui a mis le monde à l’arrêt, personne ne veut de pétrole. Les cours du brut américain (du WTI) se sont e ondrés, terminant en dessous de zéro, atteignant même le 20 avril -37,63 dollars le baril – une première historique. La situation est dramatique pour les pays dont l’économie dépend du pétrole. Malgré une légère remontée des prix − autour de 30 dollars le baril aujourd’hui −, la tendance est fragile et sera remise en question si une deuxième vague épidémique se profile. « Il est peu vraisembla­ble que la demande de pétrole revienne rapidement au niveau d’avant la crise, ne serait-ce que parce que le retour du trafic aérien et du tourisme se fera très progressiv­ement, estime le spécialist­e des questions pétrolière­s Matthieu Auzanneau. A l’exception relative de l’Arabie saoudite et de la Russie, les pays producteur­s entrent dans une période de hautes turbulence­s. L’Iran, l’Algérie, le Mexique, le Venezuela et l’Azerbaïdja­n, pour ne citer qu’eux, auront un budget lourdement déficitair­e. Et je ne parle pas des pays du golfe de Guinée, comme le Nigeria. »

La crise se traduit déjà par une chute importante de leurs recettes d’exportatio­n et par un impact négatif sur leur croissance économique. Mais ce n’est pas tout. « La baisse brutale du prix du pétrole met en danger la capacité de certains Etats à faire face aux besoins de leur population, dont le niveau de vie est souvent très bas déjà », souligne Francis Perrin, chercheur associé au Policy Center for the New South à Rabat, et directeur de recherche à l’Institut de Relations internatio­nales et stratégiqu­es (Iris). Il craint le pire : « La menace de déstabilis­ation est grande, tant ces pays ont besoin de ces revenus pour réduire les tensions sociales. »

La crise touche également l’industrie pétrolière. Les géants (Total, Saudi Aramco, Shell, Exxon-Mobil…) ont déjà commencé à réduire coûts et investisse­ments de 20 % à 30 %, avec des conséquenc­es en cascade.

« Certaines compagnies plus petites, très présentes aux Etats-Unis et au Canada, feront faillite, avec des e ets directs sur l’emploi », estime Francis Perrin. Pour rééquilibr­er les marchés, les membres de l’Organisati­on des Pays exportateu­rs de Pétrole (Opep) et leurs principaux partenaire­s ont décidé de diminuer graduellem­ent leur production jusqu’en avril 2022, mais la partie est loin d’être gagnée.

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Des navires-citernes utilisés pour stocker le pétrole en mer, le 24 avril à Long Beach.

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