Un marché sous pression
Crise économique, accès plus difficile au crédit… De nombreux candidats à l’achat devraient voir leur projet compromis
Déconfinés, les Français vontils revenir sur le marché immobilier ? A quelques exceptions près, acheteurs et vendeurs l’ont déserté depuis le début de l’état d’urgence sanitaire. « Les rares compromis que nous avons signés concernaient des dossiers déjà bien avancés avant le confinement », témoigne Eric Allouche, président du réseau ERA. Alors que l’année 2019 a été marquée par un nombre de transactions record (1,06 million), le risque d’un effondrement de la demande et aussi de l’offre n’est pas à écarter. La violente crise économique attendue plombera inévitablement les capacités financières de nombreux candidats à l’acquisition, les obligeant à différer leur projet immobilier à des jours meilleurs. Une inconnue : l’ampleur de cette contraction de la demande qui dépendra de l’intensité et de la durée de la récession économique.
LA PIERRE, “BIEN DE NÉCESSITÉ”
Face à cette inquiétude, les professionnels se forcent à l’optimisme, alors même que plus de la moitié des Français sondés redoutent une baisse des prix, selon plusieurs sondages parus fin avril et début mai. « Globalement, la pierre est un bien de nécessité, les gens doivent se loger, relativise Yann Jéhanno, dirigeant du réseau Laforêt. Avant le confinement, nous comptions 10 acheteurs pour un vendeur au niveau national et le ratio descendait jusqu’à 90/1 dans les marchés les plus tendus comme Paris et certaines grandes métropoles. » Selon la plupart des agences immobilières interrogées, ce réservoir d’acquéreurs potentiels participera à maintenir l’activité à un niveau suffisant pour soutenir les prix. « Certaines professions particulièrement sinistrées – dans le secteur du tourisme, de l’événementiel, des professions libérales, par exemple – resteront en marge du marché pendant plusieurs mois, commente maître Frédéric Violeau, du Conseil supérieur du Notariat. Mais il y aura cependant un rebond des tran
sactions en sortie de confinement dû aux 180 000 dossiers en attente de finalisation actuellement. »
Le crédit reste bon marché avec un taux moyen de 1,12% contre 1,13% sur le dernier trimestre 2019. Et le risque d’une remontée significative des taux semble écarté à court terme. Pourtant, pléthore de ménages devraient être privés de crédit en raiso6n0d4’u1n,5autre paramètre : le durcissement des conditions d’octroi des prêts. Se pliant aux recommandations du Haut Conseil de Stabilité financière (HCSF), suivies de menaces de contrôle, l5e0s0é0 tablissements ont durci leurs critères d’octroi de prêts immobiliers aux partic4u00li0ers, plafonnant la durée des crédits à vingt-cinq ans et le taux d’endettement d3e00s0emprunteurs à 33% de leurs revenus nets. « Or un tiers des prêts étaient accordés avec un taux d’effort supérieur à 35% », constate le professeur d’économie spécialiste du logement, Michel Mouillart. Les décisions de la Banque de France expliquent largement que le nombre de prêts bancaires accordés pour financer des opérations immobilières dans le neuf a diminué de 17,5% en glissement annuel au cours des deux premiers mois de 2020, d’après l’Observatoire Crédit Logement/CSA.
RECUL DES TRANSACTIONS
« Dès décembre 2019, cette restriction de la production de crédits immobiliers entraînait déjà une baisse des volumes de transactions », souligne Michel Mouillart. Ainsi, le nombre de compromis dans l’ancien signés en janvier et février 2020 a baissé de 7,5% sur un an d’après le baromètre LPI-SeLoger. Et sur ces deux premiers mois de l’année, les ventes de maisons individuelles ont été de 5,3% inférieures à leur niveau habituel. « Ce sont environ 220000ménages, en priorité les primo-accédants les plus modestes qui vont être exclus du crédit, principalement ceux des zones rurales et villes moyennes. Sauf à prévoir, comme le gouvernement l’avait fait dès le début de la crise des subprimes de 2008, un plan de soutien à l’accession à la propriété bien ciblé », alerte Michel Mouillart.
Le nombre de transactions pourrait reculer de 25% entre 2019 et 2021, selon cet expert qui rappelle que la suppression du prêt à taux zéro pour l’ancien, en 2012, avait fait reculer de 22% sur un an le nombre de vente de logements.
Cette chute prévisible de la demande et de l’offre va-t-elle se traduire par une baisse des prix ? Un regard sur les précédentes crises de 2008 et 2012 rassure: elles ne se sont pas soldées par un krach mais par une baisse contenue des prix. A la suite de la déroute financière de 2008, le prix moyen dans l’ancien en Ile-deFrance a perdu en un an 7,5% et celui des appartements 4,5% (contre -3,5% en régions pour tout type de bien). En revanche, en 2012, à la suite de la suppression du prêt à taux zéro dans l’ancien, les prix des appartements ont baissé en un an de seulement 1,3% en moyenne nationale. Ce scénario de correction douce des tarifs pourrait se reproduire. « L’évolution de la courbe des prix ne répond pas qu’à une logique d’équilibre entre l’offre et la demande mais aussi à la structure du marché », commente Michel Mouillart. Les primo-accédants achètent habituellement les biens parmi les moins chers du marché ; quand ils sont écartés du crédit, ces biens ne se vendent plus, l’indice des prix calculé sur une valeur moyenne au mètre carré est alors mathématiquement tiré vers le haut.
Reste que ces deux trous d’air du passé résultaient essentiellement d’une crise de l’accès au crédit. La situation actuelle se double des perspectives d’une récession économique de nature à paupériser de nombreux ménages. Le risque d’une correction sensible des prix est donc tout sauf improbable.