LA GALAXIE DES ALTERNATIFS
Pendant un an, Thierry Kübler et Stéphanie Molez sont allés à la rencontre de ces activistes qui militent pour un nouveau modèle de société et se mobilisent contre les projets préjudiciables à l’environnement.
Chaque matin, John observe des rossignols dans le champ qui fait face à sa fenêtre. Ce sont pourtant à d’autres vols que cette terre, sur la commune de Notre-Dame-des-Landes, à 25 kilomètres de Nantes, était promise : depuis cinquante ans, l’Etat projetait d’y créer un aéroport. Après plusieurs années de lutte, l’idée en a été définitivement abandonnée, le 17 janvier 2018. Une victoire pour John et les autres zadistes, autrement dit tous ceux qui ont combattu, sur place, cette implantation. Ils se sont baptisés ainsi en détournant l’acronyme ZAD : la « zone d’aménagement différé » est devenue « zone à défendre ». Ces activistes, le grand public les a découverts dans les JT à l’occasion d’affrontements avec les forces de l’ordre et lors de la mort tragique, en 2014, du jeune écologiste Rémi Fraisse, 21 ans, touché par une grenade alors qu’il manifestait contre le projet du barrage de Sivens, dans le Tarn. Mais qui sont ces hommes et ces femmes qui luttent en occupant les sites promis à de grands travaux d’aménagement qu’ils jugent destructeurs ?
Pendant un an, Thierry Kübler et Stéphanie Molez sont allés rencontrer une douzaine d’entre eux, au sein de trois ZAD, chacune à un moment différent de son histoire. Avec les militants de la première heure, sur place dès 2009, le documentaire revient sur l’expérience du site de Notre-Damedes-Landes, désormais évacué. Autre cas de figure, à Bure, en HauteMarne : là, les zadistes sont plus que jamais mobilisés près du lieu où il est prévu de stocker la quasi-totalité des déchets nucléaires du parc français. Malgré le harcèlement des forces de l’ordre dénoncé, dans un rapport de juin 2019, par la Fédération internationale des Ligues des Droits de l’Homme, malgré, aussi, la multiplication des condamnations de zadistes, la résistance ne faiblit pas. Enfin, à Kolbsheim, non loin de Strasbourg, ce sont les habitants eux-mêmes qui ont fait appel à eux pour contrer un projet autoroutier. Car cet axe nord-sud destiné à favoriser la circulation des poids lourds en Europe entraînerait la destruction de 350 hectares de forêt. « On a des vergers qui produisent, ici. On les rase et on fait venir des fruits de Pologne ou d’Espagne… », déplore une militante. Après avoir tenté de reprendre la zone, les zadistes en seront évacués pendant le tournage.
Les réalisateurs interrogent ces militants sur ce qui, au-delà de leurs luttes respectives, leur est commun : la vie en collectivité, l’affranchissement des rapports de domination, la décroissance, l’écologie, mais aussi les difficultés inhérentes à leur organisation sans leader. Plus largement, le film met en évidence ce que tous partagent : cette idée qu’un autre monde est possible, comme l’ont revendiqué, avant eux, les manifestants altermondialistes de 1999 à Seattle. « Tous les politiques nous rabâchent qu’il faut changer le monde parce qu’on va dans le mur. Mais ce n’est que du bla-bla. En fait, les gens qui font, ce sont des gens comme nous », explique un zadiste de Notre-Damedes-Landes. A l’heure où l’on s’interroge plus que jamais sur le monde d’après la crise du coronavirus, ce documentaire tombe à point nommé.
“Tous les politiques nous rabâchent qu’il faut changer le monde parce qu’on va dans le mur. Mais ce n’est que du bla-bla. En fait, les gens qui font, ce sont des gens comme nous.”