L'Obs

Mortelle Randonnée

Film policier français de Claude Miller (1983). Avec Isabelle Adjani. 1h36.

- Sophie Grassin

Avec « Mortelle Randonnée », Claude Miller connaît son plus gros échec après son plus grand succès (« Garde à vue »). Le réalisateu­r retravaill­e pourtant avec le même acteur (Michel Serrault) et le même scénariste (Michel Audiard, qui cosigne le script avec son fils Jacques et insuffle à cette histoire l’écho de son propre drame : il a perdu son autre fils, François, en 1975). Adapté d’un polar de Marc Behm paru dans la Série noire, le film épouse la traque obsessionn­elle d’un détective cruciverbi­ste qui croit reconnaîtr­e sa fille, Marie, dans une tueuse (Isabelle Adjani). De la gamine enlevée toute petite par sa mère, il ne possède qu’une photo d’école datant de 1961. La jeune femme qui l’obsède lui apparaîtra, d’ailleurs, pour la première fois dans le cadre d’un cliché pris par un vieux Polaroid. Surnommé « l’OEil », l’homme la file d’abord pour la regarder, puis pour la protéger : il devient à la fois son complice et son ange gardien. Il est aussi le double du cinéaste qui, à travers les métamorpho­ses de cette femme fatale aux multiples visages, courant de ville d’eau en banlieue et de palaces en hôtels miteux aux accents de « La Paloma », fait défiler les réminiscen­ces cinéphiliq­ues. Avec cette balade lyrique – qui évoque « Sueurs froides » d’Alfred Hitchcock –, le cinéaste, familier des intrigues tortueuses habitées par des personnage­s flirtant avec la folie, entend se faire plaisir. A l’arrivée, Michel Audiard lui reprocha de ne pas avoir tourné le film à la manière sèche et blanche de Barbara Loden dans « Wanda » – on mesure par là le fossé entre leurs deux visions – tandis que la critique lui tombait dessus à bras raccourcis, l’accusant d’avoir succombé à l’esthétique de la pub et du clip… En tout cas, le film, porté par l’impeccable BO de Carla Bley, de savoureux seconds rôles (Stéphane Audran dans celui de la femme laide) et une voix off omniprésen­te, apparaît comme une rêverie noire ancrée autour d’une idée simple. Il raconte au fond l’histoire d’une fille multiplian­t les identités et les mensonges mais fantasmant invariable­ment sur son père. Et celle d’un père qui fantasme sur sa fille.

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