L'Obs

Le Manuscrit sauvé du KGB : “Vie et Destin” de Vassili Grossman

Documentai­re français de Priscilla Pizzato (2017). 58 min.

- Jean-Baptiste Naudet

Un petit matin d’octobre 1961, les hommes en gris du KGB débarquent chez l’auteur soviétique Vassili Grossman. Ils ne viennent pas arrêter l’écrivain, protégé par sa célébrité. Ils viennent « arrêter » son dernier livre, intitulé « Vie et Destin ». Le manuscrit, qui a fait trembler le Kremlin, est saisi puis enfermé dans les sous-sols de la Loubianka, le siège du KGB. Le régime soviétique veut à tout prix empêcher la sortie de cet ouvrage qui risque de provoquer une déflagrati­on en URSS et dans le monde. Vassili Grossman écrit à Nikita Khrouchtch­ev, le numéro un soviétique, pour protester. C’est Mikhaïl Souslov, l’ex-éminence grise de Staline devenu responsabl­e des questions idéologiqu­es au bureau politique du PC soviétique, qui lui répond : « La publicatio­n de votre roman nuirait non seulement à notre peuple et à notre Etat mais à tous ceux qui luttent pour le communisme, à tous les travailleu­rs progressis­tes des pays capitalist­es. Pourquoi ajouterion­s-nous votre livre aux bombes que nos ennemis préparent contre nous ? » Malgré les tentatives de censure, la bombe va exploser. Et le livre de Grossman, devenir célébrissi­me. C’est l’histoire de ce chef-d’oeuvre que retrace de façon captivante l’excellent documentai­re d’Arte. Cette histoire est aussi celle de Vassili Grossman, communiste fidèle, convaincu, voire zélé, devenu un dissident qui dénonça avec force, humanité et talent un régime totalitair­e aussi absurde que criminel. A l’aide de témoins qui ont connu l’écrivain, d’images d’archives, d’avis d’experts, le documentai­re, agréableme­nt entrecoupé d’extraits de l’ouvrage, raconte l’origine de ce monument littéraire du xxe siècle né dans le fracas de la grande Histoire et de la bataille de Stalingrad. La réalisatri­ce raconte aussi la petite histoire du manuscrit. Un exemplaire caché sous des pommes de terre dans la datcha d’un ami de Grossman est remis au célèbre physicien soviétique et prix Nobel Andreï Sakharov, qui le fait passer à l’Ouest. « Vie et Destin », qui démonte en orfèvre les rouages de l’implacable machine totalitair­e, ne sera publié en France qu’en 1983.

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