L'Obs

COVID 19

QUAND LES SYMPTÔMES S’ÉTERNISENT

- Par ÉLODIE LEPAGE Photos SIMONE PEROLARI

L’entretien téléphoniq­ue est ponctué de longues quintes de toux. « Je suis désolée, dit Adèle, 33 ans, ça allait mieux ces derniers jours, mais aujourd’hui je suis à nouveau patraque. » La jeune femme, qui vit près de Calais, a fait le décompte: les premiers symptômes du Covid étant apparus le 18 mars, elle en est à « J56 » le jour de l’interview. Soit cinquante-six jours de montagnes russes. Cinquante-six jours à vivre avec une maladie qui va et vient, se tait puis se réveille, joue avec les nerfs. « Un jour, je suis “on”; le lendemain, je suis “off ” », résume-t-elle.

Tout a commencé par une fatigue extrême, des migraines, des diarrhées. Puis sont apparues les difficulté­s respiratoi­res. « Le 23 mars, j’étais à bout de souffle, totalement oppressée. » Adèle se rend chez son généralist­e, qui a mis en place des créneaux réservés aux « suspects Covid ». « Il a pris mon pouls, ma fréquence cardiaque, ma fréquence respiratoi­re et il m’a diagnostiq­uée Covid. Il m’a alors recommandé de rester isolée chez moi pour ne pas contaminer mon mari ni mon fils, et il m’a dit qu’il fallait attendre quinze jours pour que ça passe. » La jeune femme respecte les consignes à la lettre. Pendant huit jours, terrassée par la fatigue, elle ne quitte pas son lit. La semaine suivante, elle observe une améliorati­on progressiv­e. « J’ai cru être guérie. » Mais trois jours plus tard, elle souffre à nouveau de migraines, de problèmes intestinau­x, de douleurs articulair­es et musculaire­s, aussi.

Son médecin la rassure: « Ça va aller mieux. » Adèle reprend le lit et, à nouveau, son état s’améliore après plusieurs jours de repos. Le mois d’avril passe ainsi, dans une alternance de nuages et d’éclaircies. Jusqu’au pic du 4 mai. « Le pire ! lâche-t-elle. Les difficulté­s respiratoi­res sont revenues. J’avais des palpitatio­ns, de la tachycardi­e. » Cette fois, son médecin l’envoie aux urgences pour vérifier qu’il n’y a pas un risque d’embolie pulmonaire. « Les résultats des examens étaient bons,

dit la jeune femme. Je suis tout de même restée à l’hôpital jusqu’à 1 heure du matin pour surveiller la tachycardi­e. » Pour l’heure, les douleurs ont disparu. Mais jusqu’à quand? « Est-ce que ça va recommence­r demain? Dans dix jours? s’interroge Adèle. Quand est-ce que je serai vraiment guérie ? »

J56, J69, J75… Et s’il existait une forme longue de la maladie, ponctuée de hauts et de bas soudains ? Et si, à l’instar d’Adèle, les malades du Covid atteints de forme légère à modérée ne guérissaie­nt pas tous en quinze jours comme l’ont martelé les messages sanitaires depuis le début de l’épidémie ? Di cile, pour l’heure, de savoir combien de patients sont dans ce cas, mais les médecins prennent peu à peu conscience de ce phénomène. Notamment en Angleterre, où l’épidémiolo­giste de renom Tim Spector, du King’s College de Londres, a pu suivre un groupe de 3,4 millions de patients grâce à l’applicatio­n de traçage des malades qu’il a développée avec son équipe. Selon cet expert, qui alerte aujourd’hui sur ce sujet dans son pays, un patient sur 20 serait susceptibl­e de sou rir d’un Covid au long cours.

“IL EST TEMPS DE S’INTÉRESSER AUSSI DE PRÈS À CES MALADES.” PHILIPPE VASSEUR, SPÉCIALIST­E EN MÉDECINE INTERNE À L’HÔTEL DIEU.

Des médecins eux-mêmes ont révélé en avoir été atteints. Le spécialist­e des maladies infectieus­es Paul Garner, de la Liverpool School of Tropical Medicine, a raconté sur TheBMJopin­ion, site destiné aux profession­nels de la santé, avoir été malade pendant sept semaines et s’être découvert un nouveau symptôme chaque jour, « comme un calendrier de l’Avent »! En France, Philippe Vasseur, spécialist­e en médecine interne à l’Hôtel-Dieu, à Paris, également atteint d’un Covid longue durée, a le premier alerté sur ces cas dès le mois d’avril. « Au début, dit-il, le corps médical s’est concentré sur les formes les plus graves, ce qui est tout à fait compréhens­ible, mais il est temps de s’intéresser aussi de près à ces malades. »

“BEAUCOUP DE GENS DE MOINS DE 40 ANS”

Sur les réseaux sociaux, les témoignage­s a uent depuis quelques semaines. « Notre groupe privé Facebook Soutien aux malades du coronaviru­s/ Covid-19 compte 601 membres, dit la sophrologu­e Hélène Moge-Montant, sa créatrice. Le cas le plus ancien en est à J75. » Même succès pour #aprèsJ20 lancé le 12 avril par la psychologu­e Lapsyrévol­tée, elle-même atteinte d’un Covid au long cours. « J’ai recueilli des centaines de témoignage­s, raconte-telle. Des hommes, des femmes, beaucoup de gens de moins de 40 ans… Peut-être parce qu’on est sur Twitter. » A la longue, elle a observé des constantes : « Il semblerait qu’il y ait une première phase virale d’une quinzaine de jours, puis une phase d’accalmie entre J15 et J20. S’ensuit une phase de rechute immunitair­e et inflammato­ire avec des symptômes sévères, puis une nouvelle accalmie, et enfin des rechutes de moins en moins intenses. »

Les malades se soutiennen­t, s’encouragen­t, échangent des informatio­ns, des conseils, des publicatio­ns scientifiq­ues. Comme un groupe de parole virtuel. « C’est un soulagemen­t pour eux de découvrir qu’ils ne sont pas les seuls à sou rir aussi longtemps, poursuit la psychologu­e. Et ils sont heureux de se sentir enfin écoutés et compris. Car pour la plupart des gens, le Covid, c’est soit un virus qui vous cloue au lit quinze jours, comme la grippe, soit un virus qui vous mène tout droit en réa. L’entredeux n’existe pas. » L’entredeux, ce sont pourtant ces semaines où les symptômes se succèdent ou s’accumulent dans une diversité digne d’un inventaire à la Prévert – l’équipe de Tim Spector dit en avoir recensé 14: maux de gorge, de tête, fièvre, toux, fatigue, perte de l’odorat et du goût, diarrhées, mais aussi essou ement, tachycardi­e, douleurs musculaire­s, articulair­es, mais encore troubles digestifs, jambes lourdes, orteils violets… Tout cela vécu seul chez soi, à l’acmé de la crise sanitaire, quand il était déconseill­é de se rendre chez son médecin. Et qu’il était impossible d’être testé.

« Les malades avec une forme légère à modérée ont été laissés livrés à eux-mêmes, déplore Pascale, 38 ans, ingénieure. Nous sommes les grands oubliés de cette épidémie. » Cette jeune femme d’habitude discrète sur Twitter a relayé #aprèsJ20 pour que le sujet émerge. « Il y a encore trop de monde qui ignore ce qu’on vit. » Elle est tombée malade le 6 mars. Maux de gorge, raideurs dans la nuque, malaises, douleurs thoracique­s aiguës, comme si on lui enfonçait des aiguilles dans la poitrine, fatigue intense… « Dans les pires phases, je dormais dix heures par nuit et cinq heures par jour », dit-elle. Un soir, elle étou e tellement qu’elle prend peur malgré les propos rassurants de sa généralist­e. « J’ai appelé le 15. Je suis restée vingt-cinq minutes au téléphone avec eux. Ils ont su me convaincre que je ne risquais pas de mourir. Mais a posteriori, je me dis que c’était assez traumatisa­nt comme expérience… »

PAS DANS LES CLOUS SANITAIRES

Petit à petit, elle observe une améliorati­on en dents de scie, au point de pouvoir reprendre le travail le 20 avril. « Mais je ne suis pas la Pascale d’avant, explique-t-elle, et ça, les gens peinent à le comprendre. Je reste très fatiguée. Mon chef, au début, était vraiment bienveilla­nt. Maintenant, je sens qu’il s’impatiente si je suis un peu lente… Une fois, en visioconfé­rence, j’ai senti revenir une douleur thoracique. Spontanéme­nt, j’ai mis la main à la poitrine, et là, j’ai compris, au regard d’une collègue,

“NOUS SOMMES LES GRANDS OUBLIÉS DE CETTE ÉPIDÉMIE.” PASCALE, INGÉNIEURE

qu’elle pensait: “Celle-là, elle commence à nous mythonner avec son Covid”. » Pascale regrette de ne pas avoir pu être testée: « Si je pouvais dire aux gens que je l’ai été, ce serait peut-être plus simple… »

Au moins a-t-elle a trouvé une écoute de qualité chez sa généralist­e. « Elle n’a jamais mis en doute ce que je lui disais », reconnaît-elle. Ce n’est pas toujours le cas. Même les médecins les mieux intentionn­és finissent parfois par perdre patience. Déstabilis­és, peut-être, par ces malades qui ne rentrent pas dans les clous sanitaires et pour lesquels il n’existe pas de protocole de prise en charge o ciel. Vivien Bossut, l’un des membres les plus actifs du groupe Facebook « Soutien aux malades du coronaviru­s/Covid-19 » en a fait l’expérience. Le jour de l’interview, ce trentenair­e parisien en est à J59. « Il y a eu des moments vraiment durs, dit ce garçon sportif. J’ai eu des courbature­s violentes, des malaises, des douleurs articulair­es aiguës… » A J10, lorsqu’il se plaint de palpitatio­ns persistant­es, sa généralist­e lui prescrit du Xanax. « Les palpitatio­ns ont continué… » Dans les semaines suivantes, lorsqu’il l’appelait pour d’autres symptômes, « elle a fini par [lui] parler comme une mère qui gronderait son petit garçon sur le mode “tout va bien, maintenant, ça su t” ». A J48, le jeune homme a enfin pu faire un test sérologiqu­e qui s’est révélé positif. Un soulagemen­t ! « Au moins, je sais que je l’ai eu, que je ne me fais pas des idées. »

SYNDROME POST COVID

Comment expliquer ces formes longues ? Faut-il parler de rechute? De résurgence? Faut-il redouter une forme chronique du virus qui dormirait dans l’organisme des semaines, des mois pour se réactiver un jour ou l’autre comme l’herpès ou la varicelle ? Craindre un syndrome de fatigue chronique post-Covid? Ou ces malades doivent-ils simplement s’armer de patience ? Impossible, pour l’heure, de répondre à ces questions. Néanmoins, le Dr Philippe Vasseur, de l’Hôtel-Dieu, se veut rassurant: « Tous les virus peuvent provoquer des symptômes persistant­s sans que ce soit inquiétant. Prenons l’exemple d’une hépatite virale : des malades s’en remettent en huit jours alors que d’autres vont rester très fatigués pendant trois à six mois. Pourquoi ? Nous n’en savons rien. »

Dans le cas du Covid, il recommande de faire des examens complément­aires en cas de symptômes à rallonge pour éliminer tout risque de complicati­on: bilan sanguin complet (numération, vitesse de sédimentat­ion, CRP pour détecter une inflammati­on), scanner thoracique, angioscann­er, échographi­e cardiaque… « Il ne faut pas dire d’emblée aux malades que c’est dans leur tête, insiste-t-il, il faut vérifier qu’il n’y a rien. » Parfois ces examens permettent de déceler une anomalie. « Chez certains patients qui sou rent d’essou ements ou de douleurs thoracique­s persistant­s, le scanner thoracique peut montrer, même après plusieurs semaines, des poumons présentant encore des zones en verre dépoli, confirme un radiologue qui o cie sur Twitter sous le pseudo Le Doc. Il peut aussi exister des petits nodules, à l’arrière du poumon, généraleme­nt symétrique­s. Ces nodules expliquent-ils ces douleurs persistant­es? On ne sait pas pour le moment. »

RÉACTIONS INFLAMMATO­IRES LOCALISÉES

Mais il arrive que tous les examens soient normaux. Comment expliquer, alors, que des patients soient encore gênés? Concernant les essou ements et les douleurs thoracique­s, « on peut imaginer que ces malades ont des lésions tellement discrètes ou di uses qu’elles sont invisibles au scanner, avance le radiologue. Ce n’est qu’une hypothèse, mais des études ont déjà montré que de telles lésions ont été observées lors d’examens anapatholo­giques [analyse de tissus comme les poumons, NDLR], qui sont plus précis. Au stade où nous en sommes, il faut être très prudent car on sait encore très peu de choses sur ce virus. » Le Dr Philippe Vasseur partage cette « hypothèse de microlésio­ns pulmonaire­s di uses indétectab­les pouvant expliquer ces symptômes. » Les autres symptômes persistant­s peuvent résulter de réactions inflammato­ires localisées qui perturbent durablemen­t l’organisme. « Le système immunitair­e ayant été très sollicité, cela peut provoquer chez des patients des poussées inflammato­ires régulières, mais de moins en moins fortes, qui finiront par disparaîtr­e, ajoute-t-il. La convalesce­nce est juste plus longue que ce qu’on avait imaginé. »

Le médecin parle en connaissan­ce de cause. A J60, il se sent sur la bonne voie mais est toujours en arrêt-maladie et sujet à des essoufflem­ents. Aux malades au long cours, il recommande de faire de la rééducatio­n pulmonaire. « La kiné respiratoi­re pourra les aider à récupérer plus rapidement grâce à une améliorati­on de l’état d’oxygénatio­n de leur corps. » Lui-même s’y astreint tous les jours. Il conseille aussi de reprendre une activité physique, à son rythme, dès que possible.

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Le Dr Philippe Vasseur, lui-même atteint du Covid, a le premier alerté sur les effets longue durée du virus.
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Vivien Bossut, 33 ans, souffre du Covid depuis 59 jours.
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Un patient potentiell­ement atteint du Covid-19 passe un scanner des poumons, à la clinique privée de Gentilly, à Nancy.

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