COMMENT IL COMPTE GAGNER
Dans le Michigan, des centaines de républicains radicaux ont manifesté leur soutien à Trump. Comme lui, ils refusent obstinément toutes les directives de protection sanitaire entravant leurs libertés. Reportage
Le président américain ne reculera devant rien pour remporter un second mandat. Multiplier les intox, mobiliser sa base en agitant sans cesse le “nous contre eux” , déverser sur son concurrent des tombereaux d’injures… La campagne qui s’annonce risque d’être d’une rare violence
Joe Biden est sénile. Violeur. Pédophile. Pourri. Suppôt de la Chine. Ce n’est pas nous qui le disons mais Donald Trump, ses enfants ou sa campagne. Un photomontage publié sur Facebook montre Biden nourri à la cuillère dans une maison de retraite, l’air complètement gaga. Trump juge « crédibles » les accusations de pénétration digitale lancées par une ancienne collaboratrice de Biden. Son fils Donald Trump Jr relaie une accusation de pédophilie, jugeant « dégoûtante » une vidéo de Biden faisant la bise à une fillette de 4 ans. Corrompu ? La liste des accusations remplirait un bottin, il y est question de milliards de dollars et les scandales se terminent par le su xe -gate, comme dans Obamagate. Et pour ce qui est de la Chine, retenez simplement ce surnom : « Beijing Biden ». Mais rassurez-vous, on n’en est qu’aux zakouski, aux escarmouches. La campagne présidentielle ne fait que commencer, on n’a encore rien vu.
Incroyable moment. Sur le papier, Trump devrait être laminé, ratatiné, relégué dans les oubliettes honteuses de l’histoire, le 3 novembre prochain. Un bug dans le logiciel démocratique, un errement tragique et passager. Sa gestion du coronavirus est désastreuse, l’économie est en chute libre, il donne chaque jour des signes plus évidents d’instabilité mentale. Biden compte environ 6 points d’avance sur lui depuis le début de 2019, l’avance la plus constante sur un président sortant depuis au moins 1944. La semaine dernière, un sondage lui donnait même 8 points d’avance et un autre, 11 points ! Au vu de l’économie, qui n’a jamais autant plongé depuis la Grande Dépression, des scénarios prédisent une défaite humiliante. Celui du cabinet d’analyses Oxford Economics prévoit une raclée sans précédent depuis un siècle, Trump ne récoltant que 35 % des su rages.
Et pourtant… Toutes les conversations que nous avons sur l’élection, et elles sont nombreuses, finissent invariablement par un : « Avec Trump, on ne sait jamais. Tout est possible. » Le site de pronostics PredictIt donne toujours Trump gagnant (50-46). Et même de nombreux électeurs qui voteraient démocrate pensent qu’il l’emportera en novembre, comme si la surprise de
2016 était tellement énorme que rien ne pouvait la chasser. Les sondés l’avaient déjà donné vainqueur pour l’élection de mi-mandat de 2018, prédisant à tort que les républicains conserveraient la Chambre des Représentants… Il y a le sentiment d’une inéluctabilité Trump.
SORTIR LE PLUS VITE DU CONFINEMENT
Et il y a un plan. Bordélique, improvisé, chaotique, mais un plan pour le faire réélire. C’est une fusée à trois étages, lancée depuis « Cap Carnaval ». Le pas de tir était fin prêt avant l’arrivée du virus, il est patrouillé par Brad Parscale, le directeur de la campagne numérique pirate de 2016 : un trésor de guerre de plus de 250 millions de dollars (2,5 fois le total de Biden et des démocrates), une banque de données de 35 millions de numéros de téléphone portable, plus d’un million de nouveaux donateurs, près de 300 000 nouveaux volontaires et un savoir-faire de guérilla sans pareil dans la façon d’utiliser Facebook comme plateforme principale de campagne. Un arsenal impressionnant.
C’est la fusée qu’il a fallu repenser. Avec 39 millions de nouveaux chômeurs, plus question de faire campagne sur « la plus formidable économie de toute l’histoire mondiale » (dixit Trump). Le premier étage de la fusée reste l’économie, mais sous l’angle du redémarrage. D’où l’empressement à sortir le plus vite possible le pays du confinement. Larry Kudlow, le conseiller de Trump, prédit une croissance exceptionnelle au troisième trimestre, « la plus forte croissance trimestrielle de l’histoire américaine ». « Trump fait le pari qu’on le jugera moins sur l’ampleur de la crise que sur les changements des quatre ou cinq mois précédant l’élection, analyse William Wineco , professeur de science politique à l’université de l’Indiana. Si le taux de chômage est de 25 % en juin mais redescend à 15 % en novembre, il peut faire campagne sur le thème : “Regardez, cette pandémie n’est pas ma faute, c’est la Chine, c’était un acte divin, mais j’ai rapidement remis en marche l’économie.” Cela peut être un message persuasif. »
Ou pas. Il faudrait d’abord que le chômage baisse rapidement. Nicholas Bloom, économiste à l’université de Stanford, estime que 42 % des personnes récemment licenciées ne retrouveront pas leur job. Et quand viendra l’été, des millions de chômeurs arriveront en fin de droits et perdront le complément fédéral aux indemnités voté en avril. Le mécontentement risque
AVEC 39 MILLIONS DE NOUVEAUX CHÔMEURS, PLUS QUESTION DE FAIRE CAMPAGNE SUR “LA PLUS FORMIDABLE ÉCONOMIE DE TOUTE L’HISTOIRE MONDIALE”.
d’être massif et l’histoire pourrait se répéter : Herbert Hoover, qui avait fait campagne en 1932 sur le thème « la prospérité est au coin de la rue », avait été battu à plate couture par Roosevelt. Rien ne dit, d’ailleurs, que les électeurs républicains soient d’accord pour ce pacte faustien qui consiste à risquer sa vie au nom d’un redémarrage économique. Seulement la moitié d’entre eux (et un Américain sur quatre, au total) soutiennent l’idée de rouvrir les entreprises pour « refaire marcher l’économie, même si cela veut dire que plus de gens attraperont le coronavirus », selon un sondage « Washington Post »-Ipsos.
L’équipe Trump a vite allumé quelques boosters supplémentaires sous le premier étage, pour changer la perception de la réalité ou carrément bidouiller les faits. Trump a commencé par a rmer que tout bilan en deçà de 2 millions de morts serait une réussite éclatante, avant de laisser entendre que le décompte des personnes infectées ou des décès était surestimé (c’est en fait le contraire), ou que le confinement de masse serait plus mortel (suicides, overdoses) que la pandémie. Dans certains Etats républicains comme la Géorgie ou la Floride, la tentation de trafiquer les statistiques se révèle irrésistible.
RECOURS À DES PSEUDO EXPERTS
Autre réacteur d’appoint destiné à changer les perceptions : la Maison-Blanche et les républicains utilisent de vieilles ficelles pour nier le réchau ement climatique, à savoir la défiance envers les hommes de science et le recours à des pseudo-experts censés défendre une version alternative. Une activiste républicaine a fourni à la campagne une liste de 27 médecins disposés à courir les plateaux de télé pour défendre la nécessité de rouvrir l’économie, même si de nombreux Etats n’ont pas rempli les conditions sanitaires pour le faire. « Il y a une coalition de médecins ultras pro-Trump, qui se sont préparés à la guerre qui nous attend sur la santé, a expliqué en interne cette militante. Ils sont dans les tranchées, ils disent : “Il est temps de rouvrir.” »
Le premier étage, on le voit bien, ne su ra pas à mettre la fusée en orbite. D’où le deuxième étage, répétition de la stratégie de 2016 : mobiliser la base. On n’a jamais vu dans l’histoire américaine une campagne présidentielle où l’idée de convaincre les indécis ou « ceux d’en face » était aussi peu présente. Il s’agit pour Trump de rameuter les fidèles. Brad Parscale, le directeur de sa campagne, a identifié 110 millions d’électeurs potentiels de Trump. « Nous pourrions l’emporter en nous assurant que 72 millions d’entre eux se rendent aux urnes. En théorie, on peut gagner sans avoir à persuader qui que ce soit », confiait-il récemment au « New York Times ». « Trump n’a pas nécessairement besoin d’élargir sa base, il doit juste la mobiliser, confirme Will Wineco . Et il pourrait faire mieux qu’il y a quatre ans : en 2016, jusqu’au jour de l’élection, les républicains étaient divisés sur sa personne ; en 2020, il est incroyablement populaire au sein du parti et parmi certains groupes. Il n’a pas besoin de rallier ceux qui n’ont pas déjà rejoint cette coalition, il faut juste qu’il arrive à convaincre sa base d’aller voter massivement. »
Le « nous contre eux » obsessionnel colore chaque aspect de la campagne de Trump, tout comme elle a jalonné sa présidence. Et si cela vous rappelle la guerre de Sécession, ce n’est pas un hasard : même dans les Etats qui combattirent le Sud, les supporters de Trump sont de plus en plus nombreux à brandir le drapeau confédéré, symbole d’un « Libérez les Etats » devenu cri de ralliement. Dans sa version coronavirus, la division de l’Amérique a muté en une version réellement schizophrène et surréaliste, où les « bons » Américains ont le « courage » de se déconfiner, où ils sont des « guerriers » qui « n’ont pas peur » et n’hésitent pas à avaler des pilules d’hydroxychloroquine, à l’opposé de ces démocrates apeurés (pour ne pas dire autre chose…) qui portent des masques et « rêvent », planqués derrière leurs barricades urbaines, d’un bilan sanitaire tragique qui ferait perdre le président.
C’est cette logique qui rend Trump si impatient d’organiser à nouveau, dès le mois prochain, de grands meetings « les plus proches possible d’un événement Trump traditionnel », indique Jason Miller, le porteparole de la campagne. En version paramilitaire, les manifestations de supporters armés se multiplient devant les Parlements d’Etats démocrates comme le Michigan ou la Pennsylvanie. Mais la stratégie ne risquet-elle pas d’être contre-productive ? On peut s’interroger sur ce que sera la taille des foules, et les risques de contagion encourus lors des prochains meetings. Même les républicains étudient la tenue d’une convention du parti « allégée », en août. Quant aux manifestations musclées, « ces extrêmes terriblement mobilisés et en colère sont quelque chose d’e rayant à voir, de dérangeant, note Jonathan Hanson, politologue à l’université du Michigan. Mais ils ne représentent qu’une petite minorité, et mon instinct me dit que, face à ce spectacle, toute personne
lambda qui croit à la démocratie risque de penser qu’il est temps que le pays revienne à une certaine normalité ».
On peut s’étonner que Trump ait choisi de faire de cette élection un référendum sur sa personne, alors que ses chances de réélection seraient meilleures s’il défendait le scénario d’un choix entre lui et Biden. Mais Trump le Narcisse en est congénitalement incapable, et sa préférence pour la division-mobilisation a dicté le troisième étage de sa fusée : l’attaque, l’attaque, l’attaque − permanente, systématique, névrotique. Le 10 mai, il commence sa journée par un tweet sympa : « JOYEUSE FÊTE DES MÈRES »… avant de se lancer dans une orgie d’agressions verbales : en quarante-huit heures, il accuse des pires crimes ou méfaits pas moins de vingt individus ou organisations !
traiter les états démocrates comme des pays hostiles
Certaines attaques ou impulsions de Trump sont tellement pernicieuses ou déjantées qu’elles finissent par semer le trouble jusque chez certains commentateurs de sa chaîne préférée Fox News. Qui se retrouvent alors critiqués par le président, pour avoir douté à voix haute. Mais d’autres obéissent à une logique centrale à la campagne : faire diversion, en mettant la crise du coronavirus sur le compte d’autres « responsables » : Obama, qui n’aurait rien préparé en matière de pandémie (archifaux), l’Organisation mondiale de la Santé, et, bien sûr, la Chine et son « virus de Wuhan ». « La politique étrangère n’est généralement pas un élément déterminant dans les campagnes présidentielles, rappelle William Winecoff. Mais quand Trump parle de la Chine, il n’évoque pas simplement la Chine en soi. Il agite devant certains groupes, principalement des hommes blancs chrétiens, l’idée qu’ils sont visés par des assaillants venus de l’étranger. » D’où sa rhétorique sur la « menace » de l’extérieur, et son action visant à bloquer toute immigration à la faveur du coronavirus. D’où aussi, à l’intérieur même des frontières, son choix de traiter les Etats démocrates (en particulier New York et la Californie) comme des pays étrangers hostiles.
Efficace ? L’immigration n’est plus un sujet qui captive l’électorat. Sur les relations avec la Chine, les Américains ont du mal à décider en qui ils ont le plus confiance, Trump (38 %) ou Biden (40 %), selon un sondage Morning Consult. Et justement, en parlant d’attaques et de Joe Biden… Tous les coups seront permis contre le candidat démocrate. A propos de la Russie, la campagne compte utiliser le rapport à venir d’un procureur nommé par William Barr, chien de garde de Trump à la tête de la Justice, pour discréditer toute l’enquête ayant conduit à la procédure de destitution engagée contre le président. On a du mal à imaginer que cela fasse trébucher Joe Biden.
En revanche, les affaires passées de son fils Hunter en Ukraine et en Chine sont plus problématiques, surtout si les services de Poutine viennent au secours de la campagne Trump avec des documents compromettants. Mais au final, Biden est une entité connue aux yeux des Américains (voir p. 36). Même les haters, ceux qui n’aiment aucun des candidats en lice et qui avaient choisi Trump plutôt que Clinton en 2016, semblent cette fois massivement vouloir opter pour Biden.
La fusée Trump est donc lancée. Qu’on ne s’y trompe pas, c’est une convulsion, une campagne qui risque d’être d’une rare violence et sera peuplée de surprises et, peutêtre, de moments tragiques. Au moment d’attacher sa ceinture, on ne peut s’empêcher de penser à cette phrase d’Elena Ferrante : « Ce dont on devrait peut-être avoir le plus peur, c’est la furie des gens effrayés. » Elle peut déboucher sur un Hitler. Mais aussi, sur un Roosevelt.
SA StrAtégie : l’AttAque, l’AttAque, l’AttAque… permAnente, SyStémAtique, névrotique.
Ils ont débarqué dans un même élan patriotique des quatre coins du Michigan. Ils ne portent bien sûr ni gants ni masque, et adorent plaisanter sur les mesures de distanciation sociale, toutes ces règles de mauviettes démocrates… Il y a Katarina, une immigrée d’origine ukrainienne, diva lourdement fardée, tout de rouge vêtue, venue promouvoir sa propre candidature au Parlement de l’Etat. Un petit patron révolté contre des directives sanitaires qu’il juge infantilisantes. Des conspirationnistes de tous bords qui tiennent absolument à vous prouver que le coronavirus n’existe pas. Un groupe de jeunes désoeuvrés exhibant leur AK-47 pour protéger leurs concitoyens « contre la menace policière ». D’ino ensifs retraités brandissant des pancartes appelant à un retour immédiat à la normale. De nombreuses familles avec enfants, aussi, qui se sont déplacées juste par conviction, pour soutenir
leur héros : « Donald Trump est notre seul espoir pour cette nation. Le seul à qui nous confierions le gouvernail du navire USA », répètentils en brandissant leurs pancartes. Réunis, ce mercredi 20 mai dans les jardins du Capitole de Lansing (Michigan), à l’ombre de drapeaux à l’e gie du 45e président des EtatsUnis, ils sont un peu moins d’un demi-millier à braver les mesures de confinement édictées par la gouverneure démocrate Gretchen Whitmer. Leur moteur ? Un soutien inconditionnel, une même foi en leur Sauveur Trump dont ils espèrent bien sûr la réélection, et un refus absolu des règles sanitaires qu’ils considèrent comme une atteinte insupportable à leurs libertés. Ils ont répondu à l’appel de deux organisations conservatrices locales, largement relayé sur les réseaux sociaux, et profitent d’une coupe de cheveux o erte par la dizaine de coi eurs présents sur place, un pied de nez aux mesures sanitaires adoptées dans le Michigan depuis dix semaines. « Nos libertés sont menacées par des mesures fantasques et contre-productives », rappelle une manifestante, particulièrement remontée contre ces règles qui « pénalisent avant tout les citoyens les plus fragiles ». Ce meeting, elle voulait absolument y assister : « Notre présence est un acte de résistance face à la tyrannie de ce gouvernement local. »
UN BRAS D’HONNEUR À L’AUTORITÉ
Le Michigan est l’Etat américain qui a édicté les règles parmi les plus strictes afin d’endiguer la crise. Etat d’urgence, confinement quasi total jusqu’au 28 mai, fermeture de la plupart des entreprises… C’est aussi, avec 50 000 cas avérés le 22 mai et plus de 5 000 morts, l’un des plus touchés, en dehors de New York où le virus a provoqué une véritable hécatombe. Entre la santé et l’économie, ces manifestants ont clairement tranché en faveur de la seconde. Dans ce pays où constituer des réserves financières n’est pas la norme, où la plupart des foyers vivent à crédit, où les mesures sanitaires sont ressenties comme une « atteinte aux libertés individuelles garanties par la Constitution », comme le rappelle un manifestant, braver les ordres de la gouverneure est aussi une a rmation identitaire. Imprimé sur bon nombre de tee-shirts, un serpent, symbole de la résistance des colons au joug anglais avant la révolution américaine, surmonté du slogan « Don’t tread on me » – « Ne me marche pas dessus » –, s’a che comme un bras d’honneur à l’autorité.
C’est cet esprit de contestation que Donald Trump a enflammé, appelant notamment fin avril en une série de tweets ses partisans à « LIBÉRER » le Michigan,
la Virginie et le Minnesota – des Etats clés pour sa réélection – comprenez les délivrer des mesures prises par des gouverneurs démocrates, inutilement coercitives selon lui. Son appel à l’insurrection a été entendu. Dix jours après ces tweets insensés, des dizaines de manifestants lourdement armés ont pénétré dans l’enceinte même du Capitole, hurlant leur frustration, forçant les députés, paniqués, à interrompre leur séance plénière. Des journalistes ont été molestés, la police a dû intervenir… Depuis, des conseils de sécurité ont été di usés auprès des journalistes couvrant ces manifestations, qui se sont multipliées dans le pays. Comme en zone de guerre, ils recommandent de ne pas se déplacer seuls, de prévoir une échappatoire, en cas de problème, de faire profil bas. Des reporters se seraient fait arracher leur masque, certains auraient été insultés, on leur aurait toussé volontairement au visage…
Rien de tel ce jour-là. L’ambiance reste bon enfant. Mais la mobilisation, elle, est bien réelle, comme souvent au coeur de la base partisane de Donald Trump : A six mois du scrutin, cet électorat rural, peu éduqué, financièrement modeste et profondément patriote, en deux mots facilement manipulable, est sur le pied de guerre. C’est à eux que le président candidat s’adresse en priorité. Eux dont il a impérativement besoin. De leur mobilisation à grande échelle dépendent directement ses chances d’obtenir un nouveau mandat : « Donald Trump est le seul à se soucier des intérêts propres du peuple américain, et il n’hésite pas à rentrer en confrontation avec ceux qui s’y opposent, dont les grandes organisations internationales », martèle Marian, agent immobilier et membre du comité de soutien aux républicains du Michigan. Cofondatrice du Tea Party créé en 2009 en opposition aux « largesses budgétaires » de l’administration Obama, elle a tout naturellement adoubé Donald Trump lorsque celui-ci a remporté le scrutin présidentiel de 2016. « Les Etats-Unis sont fondés sur un respect scrupuleux de documents sans équivoque : la Constitution et ses amendements, rappelle-t-elle. Alors que certains politiciens entendent aujourd’hui faire comme si ces textes n’existaient pas, Donald Trump, lui, se pose en garant de ces fondations, et donc de nos droits. »
THÉORIES CONSPIRATIONNISTES
A la fin avril, la gouverneure Whitmer avait, malgré l’opposition du Parti républicain majoritaire dans les deux chambres locales, prolongé par ordre exécutif les mesures de confinement jusqu’à la fin du mois de mai, paralysant l’essentiel de l’activité commerciale dans cet Etat de 10 millions d’habitants. « Les directives démocrates mettent en danger la capacité de milliers de familles à subvenir à leurs besoins, estime Meshawn Maddock, épouse d’un parlementaire républicain local et présidente de la Coalition conservatrice du Michigan. La crise actuelle est beaucoup moins une question de politique que de droit au travail. La gouverneure, même si je ne la blâme pas, a péché par excès de prudence et le confinement a atteint des mesures totalement déraisonnables, fragilisant l’économie de manière irréparable pour certains d’entre nous. Nombre de petites entreprises ne s’en remettront jamais. »
La vedette du jour est Karl Manke, 77 ans, coi eur depuis plus d’un demi-siècle dans la petite ville d’Owosso, au nord de Lansing. Le 13 mai, après qu’il a rouvert son commerce à sa clientèle, sa licence commerciale a été annulée pour non-respect des directives sanitaires. Il n’en fallait pas plus pour que la contestation se mette en place, que des organisations conservatrices s’emparent de l’a aire, et que, sept jours plus tard, Karl, armé de son rasoir et de ses ciseaux (et tout de même porteur d’un masque), installé sur les marches menant au Capitole devienne le symbole de cette atteinte insupportable aux libertés que dénoncent les manifestants. « Je n’ai rien cherché à provoquer. C’est la gouverneure elle-même qui a créé cette situation, soutient-il entre deux coupes de cheveux, mais les jeunes générations doivent comprendre que ce pays évolue lentement vers un Etat policier et qu’il y a lieu de prendre les choses en main. » Ils sont des dizaines à se succéder pour bénéficier
“DONALD TRUMP EST LE SEUL À SE SOUCIER DES INTÉRÊTS DU PEUPLE AMÉRICAIN.” MARIAN, AGENT IMMOBILIER
des services gratuits de Karl et de ses collègues, sur les quelques stands dispersés devant le Capitole. Quelques-uns profitent de l’attroupement pour diffuser leurs théories quant à la pandémie, et clamer leur soutien inconditionnel à Trump. Vince et son ami Peter, la soixantaine vaillante, ont déployé un stand consacré à leurs théories conspirationnistes. Leurs DVD faits maison, 1 dollar pièce, se vendent bien. « C’est la 5G qui est à la base de la pandémie de coronavirus, assure Vince, le futur vaccin proposé par Bill Gates, contiendra une puce. Celle-ci aura pour dessein de contrôler les populations à l’échelle mondiale. » Selon un sondage Yougov-Yahoo, 44% des Américains se déclarant républicains sont convaincus de la véracité de cette information.
“LA DOMINATION DE L’HOMME BLANC”
Quelques dizaines de mètres plus loin, Rob, grand partisan de Donald Trump qu’il a rencontré à Las Vegas au début des années 2000, tient un stand de produits dérivés à l’e gie de son héros. Ses ventes achevées, il monte dans son pick-up aux couleurs de son favori pour procéder à des tours du Capitole en vociférant au micro des slogans à la gloire de l’ancien magnat de l’immobilier. Si ses propos sur le président n’ont rien de surprenant, son avis sur la pandémie est proprement délirant : « Le coronavirus est une fabrication du “deep state” américain, déjà annoncé en son temps par Obama. Il faut assainir Washington de tous ces politiciens véreux et seul Donald Trump peut y arriver. »
La foule qui se presse sur les pelouses du Capitole est hétéroclite. On croise des jeunes et des vieux, des pauvres et des moins pauvres, des gens complètement allumés et de braves pères de famille. Mais pas un seul Noir. Sur près d’un demi-millier de personnes présentes cet après-midi, il n’y a que des Blancs. Un comble dans un pays où un individu sur cinq est afro-américain.
Mais, alors que la population de couleur est surreprésentée dans les statistiques de mortalité du Covid-19, à l’autre extrémité du site, à l’entrée du jardin du Capitole, une contre-manifestation réunit quatre individus, tous afro-américains. Débarqués de Detroit, berceau des industries automobiles peuplé à 80 % de Noirs, Malik Shabazz, entouré de ses compagnons, Black Panthers revendiqués, soutient les mesures de la gouverneure Whitmer. « Nous comprenons que bon nombre d’Américains soient en manque d’argent – et les citoyens de couleur ne sont pas les moins nombreux, mais la santé doit avoir priorité sur les profits. L’économie doit reprendre au moment opportun, sur la base de preuves scientifiques », soutient Shabazz. L’homogénéité raciale de la manifestation ne le surprend pas : « Le succès de Donald Trump tient en grande partie à l’ignorance et à un racisme latent parmi ses supporters. En ce qui concerne les femmes qui ont voté pour Trump, leur racisme l’a emporté sur leur aversion aux agissements sexistes du président. » Le militant de la cause noire va plus loin encore : « Si les Blancs se sont libérés de l’oppression en leur temps, les Noirs attendent toujours leur propre libération. C’est la domination de l’homme blanc qui structure ce pays. »
Un manifestant porteur d’une arme de poing et passablement agressif l’apostrophe soudain, le ton monte légèrement avant que chacun retrouve son calme. Il n’y aura pas de débordements ce jour-là. Mais d’autres manifestations sont prévues. « La confiscation de nos libertés dans le cadre du coronavirus fait partie d’un agenda caché, plus large, visant à étou er progressivement les droits des citoyens de ce pays », assurait, dans une certaine confusion, Charles Langworthy, obscur candidat à la Chambre des Représentants du Michigan. Mais le fond du message, largement partagé sur les pelouses du Capitole en cette belle journée printanière, est clair : qu’importe l’épidémie. Les libertés individuelles sont en danger, seul Trump peut les sauver.
“LE SUCCÈS DE DONALD TRUMP TIENT EN GRANDE PARTIE À L’IGNORANCE ET À UN RACISME LATENT
PARMI SES SUPPORTERS.” MALIK SHABAZZ