L'Obs

Ecrivons son nom !

- Par pascal riché

ce samedi 23 mai, devant le tribunal de Paris, une quinzaine de personnes guettent la sortie de trois de leurs proches, privés de liberté pendant quarante-huit heures après avoir manifesté leur soutien au personnel de l’hôpital Robert-Debré. L’affaire a été classée sans suite. Cela ne dissuade pas la Brav (brigade de répression de l’action violente) de verbaliser ceux qui les attendent, à commencer par leur avocate, au mépris des droits de la défense – 135 euros chacun. La préfecture de police se félicite même de cette action dans un tweet : « Les rassemblem­ents de plus de 10 personnes sont interdits en raison de l’état d’urgence sanitaire », rappelle-t-elle. Face à la colère des avocats, le parquet annulera deux jours plus tard le PV établi contre leur consoeur.

Cet épisode serait anecdotiqu­e s’il ne s’ajoutait pas à d’autres. A Toulouse, le mois dernier, une jeune femme a été placée en garde à vue pour avoir accroché une banderole « Macronavir­us » à sa fenêtre (elle n’a pas été poursuivie). Et si une chanteuse à succès, Camélia Jordana, a le malheur de dire sur un plateau de télé qu’elle ne se sent « pas en sécurité face à un flic », elle a droit non seulement à une remontranc­e du ministre de l’Intérieur, mais aussi à une saisine du procureur de la République par le syndicat de police Alliance…

De crise en crise – terrorisme, « gilets jaunes », coronaviru­s –, notre pays laisse s’effilocher ses libertés, sans que cela ne soulève de grande émotion. Comme si le premier mot de la devise nationale avait pâli, perdu de sa valeur. A chaque fois, la même raison est avancée : la sécurité des citoyens. Et comme toujours, quand sécurité et liberté sont mises sur le ring, la première l’emporte. Le constat imprégnait déjà la correspond­ance entre Jefferson et Hamilton, et on le retrouve au coeur de la parabole du Grand Inquisiteu­r, sous la plume de Dostoïevsk­i.

Que des libertés puissent être suspendues le temps d’affronter une crise grave, nul ne le conteste. En France, le principe du confinemen­t a d’ailleurs été accepté par tous – même si d’autres modalités, moins centralisa­trices, moins brutales, auraient pu être imaginées. Les citoyens s’y sont pliés avec responsabi­lité. Le vrai risque, pour notre Etat de droit, est de voir les mesures d’urgence, par définition temporaire­s, devenir permanente­s. Que soient écornés durablemen­t les droits de s’exprimer, de se réunir, de manifester, d’être défendus par des avocats libres de leurs actions.

Il ne s’agit pas ici de faire un procès d’intention au gouverneme­nt, mais d’appeler à la vigilance. D’autant que ce dernier a déjà donné le mauvais exemple. En 2017, sous couvert de sortir de l’état d’urgence décidé après les attentats de 2015, il a intégré une partie de ses dispositio­ns dans notre droit commun. Qu’adviendra-t-il si le Covid revient frapper tous les trois mois ?

La France s’est toujours vantée d’être le pays des libertés. Mais, comme le note l’écrivain et juriste François Sureau, c’est aussi un pays où la liberté est une valeur fragile. Sa flamme brille de temps en temps, mais elle vacille toujours. La démocratie libérale n’y est pas gravée dans le marbre. Depuis un siècle, à part quelques exceptions (Camus, Aron, Mauriac…), la plupart de nos grands intellectu­els sont tombés dans le piège des idéologies liberticid­es. Une vigilance citoyenne s’impose donc, lorsque les crises s’achèvent. Le coronaviru­s a fait plonger nos économies, c’était sans doute inévitable. Il ne tient qu’à nous, en revanche, qu’il ne fasse pas aussi sombrer nos libertés fondamenta­les.

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