L'Obs

Gauche et écolos

A l’issue de la crise sanitaire, la gauche et les écologiste­s rêvent d’un programme commun alliant politiques sociale et environnem­entale. Reste à s’accorder sur un leader pour les porter au pouvoir

- Par CÉCILE AMAR et RÉMY DODET

La comédie romantique de l’union

Longtemps, leurs vies ont été remplies, ils enchaînaie­nt les rendez-vous, les meetings, organisaie­nt des campagnes. Et soudain, le vide. Le confinemen­t les a contraints à réduire la cadence. Stop! L’inaction est l’ennemi des politiques. Qu’à cela ne tienne, les militants de toutes les tendances de la gauche et les écologiste­s de tout poil se sont téléphoné. Ils ont organisé des boucles de discussion WhatsApp, ont multiplié les réunions virtuelles grâce aux applis de visioconfé­rence. Objet de leurs discussion­s: les contours du monde d’après-Covid-19, bien sûr. Et les conditions d’un rapprochem­ent en vue d’une candidatur­e commune rose et verte à la présidenti­elle de 2022. Yannick Jadot, JeanLuc Mélenchon, les chefs de parti, tous se sont activés. Comme le confie Eric Piolle, le maire écolo de Grenoble, « les esprits sont plus libres. Le confinemen­t est une brèche dans les vieilles habitudes: on apprend à se parler, à travailler ensemble, à construire ». Olivier Faure, le patron du PS, abonde : « On a tous en tête une caricature du voisin. Quand on se parle, on voit bien qu’on se ressemble. » Mais jusqu’à quel point? La gauche et

les écolos peuvent-ils trouver le chemin vers un candidat commun en 2022? Récit en cinq tableaux de cette grande manoeuvre.

I. CONVERSATI­ON AVEC MÉLENCHON

Quand il a vu son nom apparaître sur son iPhone, ce mardi 12 mai, le socialiste François Lamy a souri. La dernière fois que Jean-Luc Mélenchon l’avait appelé, c’était il y a plus de trois ans, quand Yannick Jadot avait rallié Benoît Hamon à la présidenti­elle. L’époque semble si lointaine. Ce mardi, l’« insoumis » vient aux nouvelles. Alerté depuis des semaines par Adrien Quatennens, avec qui François Lamy discute de temps en temps à Lille, Jean-Luc Mélenchon veut comprendre pourquoi le fidèle lieutenant de Martine Aubry est brouillé avec elle depuis des mois. Mélenchon et Lamy se connaissen­t si bien qu’ils se comprennen­t à demimot. Pendant des années, ces deux-là ont fait la pluie et le beau temps dans l’Essonne socialiste. Ils se respectent et même s’apprécient. Mélenchon n’oublie pas que Lamy a appelé à voter Quatennens au deuxième tour des législativ­es de 2017. Pour lui, l’ancien ministre de la Ville est un militant de valeur. Et Lamy sait que la gauche ne pourra pas l’emporter sans Mélenchon.

Le coup de fil dure, ils refont l’histoire de la gauche et se remémorent leurs guerres communes. Lamy a repris du service. Il est une des chevilles ouvrières de l’appel à une initiative commune lancé par l’ancien frondeur Christian Paul et le journalist­e Guillaume Duval, publié dans plusieurs journaux dont « l’Obs ». Dans cette bande, personne n’avait prévu d’appeler Mélenchon, mais puisque l’« insoumis » a pris l’initiative de la discussion, Lamy lui explique et prend soin de le prévenir : « Je n’ai pas de candidat. » « Je ne sais pas si je serai candidat », balaie Mélenchon. Le quatrième homme de la présidenti­elle 2017 (19,5%) demande : « Il y a un programme, l’Avenir en commun; pourquoi personne ne veut-il en discuter ? » Lamy promet de le lire. Et poursuit: « Si jamais tu vas à la présidenti­elle, que fais-tu de cette partie de l’électorat sans laquelle tu ne peux pas gagner ? Elle a voté pour toi en 2017 mais parce qu’il y avait eu Hollande. » Lamy en est certain, les deux pôles, écolo-socialiste et « insoumis », doivent discuter. Ce coup de téléphone n’est qu’une première étape. Avant de raccrocher, Mélenchon glisse au socialiste: « Fais comme tu veux, si tu t’amuses. Mais comme ça ne marchera pas, à la fin, reviens vers moi! »

II. RIVALITÉS CHEZ LES ÉCOLOS

Quand, il y a quelques mois, Olivier Faure a proposé à Julien Bayou d’organiser une université d’été commune à toute la gauche pour donner corps au « ciment commun » qu’il appelle de ses voeux, le patron d’Europe-Ecologie-les Verts (EELV) n’était vraiment pas emballé. La gauche était un gros mot, et l’écologie devait être centrale. Et puis, quelque temps plus tard, Bayou a repris l’idée à son compte. Faure salue « ce bond gigantesqu­e, ce virage à 180° ». Pendant le confinemen­t, les écolos ont connu un tournant, même si ce terme les irrite. Leurs mots ont changé, se sont adoucis. Dans le train qui l’amenait à Rennes, le vendredi 6 mars, Yannick Jadot, le mieux placé à EELV après son score des européenne­s (13,5%), nous racontait qu’il voulait rassembler, bien au-delà de la gauche, « pour réconcilie­r, reconstrui­re ». « Beaucoup ne se reconnaiss­ent plus dans ce clivage du XXe siècle, très peu opérant du point de vue de l’écologie ». Lui qui n’avait « jamais fait sienne la logique d’appareil » ne voulait pas « réunir le conseil d’administra­tion de la gauche », ne croyait pas « à un comité de liaison des partis politiques ». Et voilà qu’il signe des tribunes unitaires, se revendique de gauche et appelle à additionne­r les forces. L’existence détermine souvent la conscience. L’homme qui rêve d’être le premier président écolo sait qu’il n’a pas que des amis dans les rangs d’EELV. Passer par l’extérieur est sûrement plus simple. Yannick Jadot voit bien qu’Eric Piolle, le maire de Grenoble, qui a fait 46% au premier tour en mars et dirige sa ville avec les « insoumis », se sent pousser des ailes. Piolle défend depuis longtemps l’union de son « arc humaniste ». Pour lui, « il faut avancer vers une maison commune, portée par un même projet de société ».

Négocier un virage n’est jamais facile. Ce samedi 9 mai, les écolos confinés se connectent pour une visioconfé­rence. Bayou et une poignée de dirigeants d’EELV font face aux représenta­nts de trois petites formations, tous partisans de l’autonomie de l’écologie : la députée des Deux-Sèvres Delphine Batho, un proche de Corinne Lepage et Jean-Marc Governator­i, ancien chef d’entreprise millionnai­re qui s’est allié avec Jadot aux européenne­s de mai dernier. Au menu de cette réunion: les régionales de mars prochain. Governator­i plaide pour des listes 100% écolos et animaliste­s au premier tour. « Avec Delphine, nous pensons qu’il est prématuré d’ouvrir l’écologie à d’autres partis convention­nels. » Bayou rétorque que les échelons régionaux décideront des alliances. La discussion est polie, la divergence bien réelle. Comme un caillou dans la

“IL FAUT COMMENCER PAR DES MARIAGES ARRANGÉS. APRÈS, LES GENS VONT DÉCOUVRIR QU’ILS S’AIMENT.” OLIVIER FAURE, PREMIER SECRÉTAIRE DU PS

chaussure d’EELV : faudra-t-il choisir entre l’alliance à gauche et le rassemblem­ent de la famille verte? Une semaine plus tard, ces petits alliés écolos disent leur désaccord à l’organisati­on d’une université d’été commune, prélude à « la dissolutio­n du projet écologiste dans des compromis boiteux ». Les écolos ont encore le temps de changer de ligne.

III. LE GRAND AIR DES “150”

« Commun », vous avez dit « commun » ? Depuis 1977 et l’échec du programme commun de la gauche, il y a des adjectifs auxquels les communiste­s ne croient plus. A chaque fois que l’un de ses interlocut­eurs évoque un candidat commun, le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel, répond : « Je ne parle pas élections. » Et prévient : « Un rassemblem­ent avec les forces politiques, tel un programme commun, on a déjà payé. » Mais quand Christian Paul et Guillaume Duval, inventeurs du Festival des Idées (dont « l’Obs » est partenaire), lui ont parlé d’un texte appelant à une convention commune cet automne avec des associatio­ns et des intellectu­els, le Nordiste a demandé à le lire. « J’ai amendé le texte, on en a retoqué plusieurs versions inacceptab­les. On a obtenu l’intégratio­n de l’abandon du pacte budgétaire européen. » Et finalement, « par respect des adhérents » et parce qu’il « réserve son expression pour les propositio­ns du PCF », il a refusé de le signer et a laissé son prédécesse­ur Pierre Laurent et ses porte-parole Ian Brossat et Cécile Cukierman se joindre aux 150 signataire­s.

Olivier Faure, lui, a signé tout de suite. L’union est son mantra: le socialiste, qui a déjà été l’artisan de la liste Glucksmann aux européenne­s, estime que son parti ne peut plus gagner seul. Le maire écolo de Grenoble n’a eu aucun mal à mettre son nom en bas du texte. Yannick Jadot, ami de Guillaume Duval, non plus. Les « Dupond et Dupont » de l’écologie, comme les surnomment désormais leurs partenaire­s, veulent être de toutes les initiative­s. Mais le patron d’EELV, Julien

Bayou, est resté sur le bord du chemin, regrettant un texte « pas assez écolo » et qui « manquait de patate ». Arnaud Montebourg n’a pas signé « parce qu’[il fait] autre chose que de la politique », nous confie-t-il. Raphaël Glucksmann, Thomas Piketty, Sandra Laugier… nombre de figures de la campagne présidenti­elle de Benoît Hamon ont répondu présent. Mais pas l’ancien candidat. « Parce que ce n’est plus mon rôle », dit Hamon qui précise : « Tout ce qui contribue à recréer un grand récit émancipate­ur et à rassembler la gauche et l’écologie politique va dans le bon sens. » De nombreux élus ou anciens ministres socialiste­s comme Najat Vallaud-Belkacem sont de l’aventure. Mais de grandes figures manquent à l’appel. Anne Hidalgo préfère se concentrer sur Paris et sa réélection. Martine Aubry n’a pas répondu. Bernard Cazeneuve a été « informé ». Pas François Hollande. Les plaies de son quinquenna­t ne sont pas encore refermées.

IV. LE FLIRT DES “INSOUMIS”

Ils ont tous la même idée: diviser les « insoumis », en débaucher quelques-uns pour a aiblir Jean-Luc Mélenchon et construire enfin le rassemblem­ent de la gauche dont ils rêvent. Clémentine Autain et François Ru n sont ceux que les socialiste­s et les écolos cajolent. Ceux qu’Eric Piolle a invités à un match de foot à Grenoble, avant le premier tour des municipale­s. Ceux que Christian Paul et Guillaume Duval ont voulus dans leur appel. Le député de la Somme, François Ru n, n’a jamais accepté de signer. « Le texte n’est pas dans la coloration de ce qu’il écrit », reconnaît Paul. De son propre aveu, la députée LFI Clémentine Autain s’est, elle, montrée « active » dans la rédaction de l’appel. Avant de refuser finalement de le signer. « La France insoumise n’était pas dans le cadre, le curseur du texte n’était pas au centre de gravité de la gauche », dit-elle. « Clémentine et François ont été démarchés individuel­lement. Ils n’ont pas signé. François ne m’en a pas

parlé, mais je parle souvent avec Clémentine », raconte en souriant Jean-Luc Mélenchon. Avec eux, le texte aurait rassemblé quasiment toute la gauche et isolé Mélenchon. Sans eux, c’est une autre histoire. Le bloc « insoumis » n’a pas cédé.

V. LA RÉUNION DE L’ESPOIR

Chacun a reçu le code de la réunion sur Zoom. A 16 heures, ce mercredi 20 mai, tous branchent leur ordinateur et laissent la caméra capter leur image, qui dans son bureau, qui dans son salon, devant une bibliothèq­ue, un tableau ou un mur blanc. Le moment est inédit et certains le diront « historique ». La gauche sociale et écologiste a donné rendez-vous à la gauche politique. Vingt ONG et syndicats (dont Attac, Greenpeace, Oxfam, Les Amis de la Terre, la CGT, la FSU, Solidaires ou la Confédérat­ion paysanne) ont convoqué dix partis politiques (du PS au NPA, en passant par le PCF, LFI ou EELV) pour discuter de la sortie de crise. Les ONG et les syndicats racontent d’abord comment ils ont écrit leur appel « Plus jamais ça » en insistant sur ce qui les rassemble, plus que sur ce qui les divise. Pour l’instant, ils s’accordent sur un horizon, la transition écologique et sociale, mais sans en donner les détails. Ils préviennen­t les partis qu’ils vont publier 34 propositio­ns de sortie de crise. Cécile Duflot, directrice générale d’Oxfam, lance: « On veut rester au ras des pâquerette­s. On travaille au mode d’emploi. » Jean-François Julliard, DG de Greenpeace, se réjouit de voir que l’alliance de l’ONG antinucléa­ire et de la CGT est citée en exemple par tous. Fabien Roussel, le patron du PCF, plaide pour « l’union dans l’action ». Julien Bayou, celui d’EELV, tente d’embarquer les ONG et les syndicats dans son université d’été du monde d’après: « L’idée est de déborder les partis politiques, de former un bloc de la transition. » Aurélie Trouvé, d’Attac, douche un peu l’enthousias­me : « Nous ne voulons pas d’un cadre commun pérenne entre syndicats, associatio­ns et partis politiques. » Les syndicats et les associatio­ns n’entendent pas se laisser embarquer dans la recomposit­ion politique en cours.

A 16h30, sortant du boulot, arrive Olivier Besancenot. Si certains politiques veulent signer une déclaratio­n commune, le militant du NPA, comme Jean-Luc Mélenchon ou les dirigeants d’Attac et de Solidaires, incite à « des actions communes, des actions concrètes en soutien au personnel hospitalie­r ou pour des masques gratuits ». Mélenchon émet en plus l’idée d’une « campagne sur la dette ». Philippe Martinez ne prend pas la parole. A l’unisson de tous les dirigeants politiques, Olivier Faure, au nom du PS, souligne « l’importance » de cette réunion. Ajoute : « Il ne faut pas croire que du jour au lendemain on sera d’accord sur tout. » Puis, après avoir évoqué les usines Renault menacées mais qui, selon lui, ne doivent pas fermer, Faure avertit: « Il faut rentrer dans le dur. » Sans en dire plus sur les sujets qui seront parfois di ciles à trancher. Peu après 18 heures, tous se quittent en promettant de se revoir vite, une fois que les propositio­ns des ONG et syndicats seront connues.

L’union est encore brinquebal­ante et partielle. « Il faut commencer par des mariages arrangés, et après, les gens vont découvrir qu’ils s’aiment », s’enthousias­me Olivier Faure. « Le moteur à propulsion se met en place, je voudrais qu’il produise une vague montante », abonde Christian Paul. Comme eux, des socialiste­s et des écologiste­s ont envie d’y croire. Ils n’ont pas encore discuté du candidat, ni même de la manière de le désigner. Le PS a un trésor de guerre, il a mis de côté les millions d’euros nécessaire­s à une campagne présidenti­elle. L’idée d’une nouvelle primaire fait son chemin. « On va y travailler. Il faudra départager les uns et les autres et créer une dynamique », annonce François Lamy. Il ajoute, lucide : « Si ça marche, on sortira le champagne! Ça tiendra du miracle. » Il y a ceux qui croient au ciel. Et ceux qui n’y croient pas.

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Olivier Faure (à dr.) et Julien Bayou le 20 mai à Matignon. Il y a quelques mois, le patron du PS a proposé à celui d’EELV d’organiser une université d’été commune de la gauche. Sans succès.
 ??  ?? Pour Jean-Luc Mélenchon, l’enjeu actuel est d’éviter que les manoeuvres à gauche ne minent La France insoumise.
Pour Jean-Luc Mélenchon, l’enjeu actuel est d’éviter que les manoeuvres à gauche ne minent La France insoumise.
 ??  ?? Naguère critique à l’égard du projet de rassemblem­ent de la gauche, Yannick Jadot (EELV) s’est rallié à cette idée.
Naguère critique à l’égard du projet de rassemblem­ent de la gauche, Yannick Jadot (EELV) s’est rallié à cette idée.
 ??  ?? Raphaël Glucksmann (Place publique) et Manon Aubry (LFI) au Festival des Idées de La Charitésur-Loire, le 6 juillet 2019.
Raphaël Glucksmann (Place publique) et Manon Aubry (LFI) au Festival des Idées de La Charitésur-Loire, le 6 juillet 2019.
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Le 6 mars, le maire écolo de Grenoble, Eric Piolle, a invité l’« insoumis » François Ruffin à taper dans le ballon pendant la campagne des municipale­s.
 ??  ?? Cajolés par le PS et EELV, les députés LFI Clémentine Autain et François Ruffin n’ont pourtant pas signé l’appel des « 150 ».
Cajolés par le PS et EELV, les députés LFI Clémentine Autain et François Ruffin n’ont pourtant pas signé l’appel des « 150 ».
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La réunion « historique » de la gauche a eu lieu sur Zoom le 20 mai.

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