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Très populaire sur les réseaux sociaux, le président de Sud Radio anime sa propre émission. Et creuse dans un livre son sillon populiste et un brin complotist­e

- Par CAROLINE MICHEL AGUIRRE

Didier Maïsto, l’éditocrate des « gilets jaunes »

Dans un recoin de son bureau, Didier Maïsto conserve précieusem­ent sa « boîte à trucs », dont il aligne le contenu sur le rebord de la fenêtre. Un morceau de grenade de désencercl­ement, des lunettes de protection, une perche de téléphone, un brassard « presse ». D’un placard, le patron de Sud Radio extrait aussi un casque estampillé « presse ». « Un jour qu’on courait sous les bombes… », entame-t-il. Des bombes sur les manifs? « Des bombes lacrymo », précise-t-il.

Didier Maïsto, quinqua au visage juvénile, ne se lasse pas de raconter, façon reporter de guerre, les événements qui ont bouleversé sa vie. Sa rencontre, le 14 décembre 2018, avec ses premiers « gilets jaunes », sur une route du Perche, où il possède une maison. Sa profession de foi rédigée dans la nuit, qui connaît un succès fulgurant sur Facebook (« Les “gilets jaunes”, c’est la France laborieuse, la France de ceux qui fument des clopes et roulent au diesel, des ouvriers et des petits patrons »). Les samedis suivants passés « sur le terrain » (au risque de briser son mariage), à filmer les « actes » des « gilets jaunes », pour « rendre visibles les invisibles » et témoigner d’« une répression d’Etat inédite depuis la guerre d’Algérie ».

De cette expérience, il a tiré un livre, « Passager clandestin », qu’il publie au Diable vauvert. Un mélange de récit autobiogra­phique – son enfance toulonnais­e dans une famille issue de l’immigratio­n italienne, ses débuts profession­nels décevants, journalist­e, attaché parlementa­ire puis lobbyiste chez Fiducial – et de dénonciati­on des pratiques de « l’oligarchie », corrompue et licencieus­e, et des « médias mainstream »,

tenus « laisse courte » par l’Etat. Médias mainstream dont il recycle pourtant certains scoops, sans y voir de contradict­ion.

Didier Maïsto est l’une des faces visibles d’une mouvance née dans la rue, où populismes de gauche et de droite se sont trouvé des points communs. Une mosaïque politique que l’on peut résumer ainsi : souveraini­sme, opposition à l’Europe de Maastricht et rejet des élites. Lui-même se réclame de Philippe Séguin et de François Asselineau, tout en trouvant de l’intérêt à François Ruffin. Pas étonnant que Michel Onfray soit déjà venu deux fois sur Sud Radio présenter la revue « Front populaire », qu’il lance début juin sur le même créneau. Ni que le controvers­é Pr Raoult, futur chroniqueu­r chez Onfray, ait accordé une interview dès le 26 février à la matinale de la radio.

“PAS DE FEUILLE DE ROUTE”

« Didier Maïsto ne m’a jamais donné la moindre directive politique. Je n’ai pas de feuille de route, si ce n’est de parler librement, d’aller là où les autres ne vont pas », précise André Berco , l’animateur au parfum de scandale de la tranche de midi. Cet admirateur de Jean Raspail (écrivain qui dénonce l’a ux de migrants en Occident) ne s’était pas senti très concerné par les « gilets jaunes » avant que son patron défile avec eux : « J’ai trouvé sympathiqu­e qu’il mouille sa chemise, je l’ai invité à venir nous le raconter dans mon émission. » Dans la foulée, Berco a aussi invité l’avocat Juan Branco, que lui a présenté Maïsto. La rencontre des extrêmes.

Dans son livre, Didier Maïsto ne dit presque rien de ses vingt-quatre années au sein du groupe d’experts-comptables Fiducial, si ce n’est son admiration quasi filiale pour son fondateur, le mystérieux Christian Latouche, « mâle dominant » qui di use des « phéromones » en quantité. A l’entendre, Latouche ne se serait pas o ert une vitrine en rachetant Sud Radio fin 2013, mais aurait investi pour le bien commun : « Il nous laisse une paix éditoriale, tant que nos débats restent contradict­oires et que nous ne sommes ni moralistes ni procureurs. »

Le projet de copier le succès de RMC, autre radio régionale devenue nationale, a fait long feu. Le déménageme­nt de Sud Radio de Toulouse à Paris a été un traumatism­e. Les e ectifs en CDI ont fondu, remplacés par des pigistes et des animateurs sous contrat d’indépendan­t. L’engagement de Didier Maïsto auprès des « gilets jaunes » a changé la donne Depuis le 30 mars, il anime sa propre émission de 21 heures à 22h30. « Il y a chez Didier un ton qui correspond à ce créneau du soir. L’objectif est de faire découvrir Sud Radio à ceux qui le suivent sur les réseaux sociaux », explique Patrick Roger, directeur général.

Avec les manifs, Didier Maïsto a laissé tomber le costume-cravate et s’est mis à commenter l’actualité dans des « Facebook Live » attendus par des dizaines de milliers fidèles. Il y démontre un vrai sens de l’actu, en même temps qu’une forte porosité à certaines thèses complotist­es. « Au début, je lui ai montré comment faire. Maintenant il a plus de “followers” que moi! C’est un média à lui tout seul. Dans sa communauté, il fait figure de sage », souligne son ami le « gilet jaune » Jérôme Rodrigues.

“AGENT D’INFLUENCE”

Il y a, chez Maïsto, quelque chose de Christophe Mercier, le blogueur de la série « Baron noir », pourfendeu­r des « politicien­s superfétat­oires », qui, naviguant entre extrême gauche et extrême droite, se hisse au deuxième tour de l’élection présidenti­elle. « La politique ? Non, je n’ai pas cette ambition. Je me vois plutôt comme un agent d’influence », répond l’intéressé. Au printemps 2019, le patron de Sud Radio a participé à plusieurs réunions secrètes organisées par Le Média, la webtélé de la gauche radicale dirigée par Denis Robert. C’est le journalist­e Antoine Peillon qui l’y a amené. « J’avais été touché par la sensibilit­é et l’empathie naturelle de Didier, ainsi que par son attachemen­t aux valeurs républicai­nes. L’idée de ces rencontres était de créer une communauté d’intellectu­els. On avait même trouvé un nom : Résistance », dévoile Peillon.

Le projet a tourné court, mais pas la volonté de Didier Maïsto de participer aux débats d’idées. En mars 2019, il bouleverse sa grille en milieu de saison pour o rir au militant Etienne Chouard, promoteur du référendum d’initiative populaire (RIC), soupçonné d’être proche d’Alain Soral, deux heures d’émission hebdomadai­re. Un mois et demi plus tard, une interview donnée au Média fait scandale : Chouard refuse d’y reconnaîtr­e l’existence de la Shoah, et Didier Maïsto interrompt son contrat le 20 juin. « Je viens d’une famille de résistants. Personne ne peut me soupçonner de racisme ou d’antisémiti­sme. Etienne Chouard reste pour moi une énigme. Il paraît qu’en ce moment il se documente sur la Shoah », avance Didier Maïsto.

Naïveté ? Provocatio­n ? « Un peu. Et aussi une griserie à se sentir le porte-parole des “gilets jaunes”, analyse le journalist­e d’investigat­ion Claude Ardid. Je l’avais pourtant prévenu qu’en invitant Etienne Chouard il allumait une mèche. Mais c’est typique de Didier, ça. Je le connais depuis trente ans. Il est d’une générosité et d’une curiosité totales. Mais il ne peut pas s’empêcher de déposer des bombes. »

Dans « Passager clandestin », Didier Maïsto s’en prend à la vie privée du maire de Rueil-Malmaison et ex-député Patrick Ollier, dont il fut l’assistant au milieu des années 1990 et qui menace de porter plainte. Mais pourquoi ces attaques au-dessous de la ceinture? « J’ai hésité. Mais tout le monde en a marre du double discours, faites ce que je dis, pas ce que je fais, non ? » nous interroge-t-il. Comme soudain conscient que ses bombes pourraient bien finir par lui exploser à la figure.

MAÏSTO “EST UN MÉDIA À LUI TOUT SEUL. DANS SA COMMUNAUTÉ IL FAIT FIGURE DE SAGE”. JÉRÔME RODRIGUES, “GILET JAUNE”

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Didier Maïsto, le 29 juin 2019, lors de l’acte 33 des « gilets jaunes ».

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