L'Obs

L’Observatri­ce

L’expérience du shopping en boutique a totalement changé. Pour retrouver le plaisir de l’essayage et l’achat après le confinemen­t, il va falloir faire quelques efforts

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par Sophie Fontanel

Au plus profond du confinemen­t, et même si le vide faisait du bien, je trouvais triste de lécher des vitrines inertes. La vie superficie­lle, c’est quand même pas bon signe quand on ne peut pas l’avoir. Voilà pourquoi dès que ça a rouvert, je me suis pointée dans les magasins. Et mon opinion est faite, on ne sait pas comment sera le monde d’après-demain mais une chose est sûre : celui de demain-là-maintenant n’est pas évident question shopping.

Je vous dis comment ça se passe. J’entre dans la boutique avec un sourire avenant. Déjà qu’il était avenant avant, alors maintenant il l’est doublement car j’essaie aussi d’exprimer ma joie de retrouver les gens et les choses, ma joie de participer à la resociabil­isation du monde, et celle de rappeler que, contrairem­ent à ceux qui ne disent jamais bonjour, je suis l’amabilité même. Il n’y a qu’un souci : mon salut et ma bonne éducation, eh bien personne ne les voit. D’abord, tout cela est masqué, et ensuite la vendeuse (il y a peu de vendeurs), venant de se rendre compte qu’il y a de la visite, a reçu dans la seconde une adrénaline de flip. Elle se demande si je me suis bien rincé les mains au gel hydroalcoo­lique placé là en évidence sur une table à l’entrée. Du coup, elle m’adresse en premier un regard inquiet qui n’est pas bon pour le commerce, ça fait comme si elle doutait de moi. Mais, bref, je me désinfecte les mains et, en plissant les yeux d’un air avenant et en tentant quelques courbettes, je fais savoir que je viens en cliente, comme au bon vieux temps. La vendeuse se détend. Enfin, pas longtemps, parce qu’à peine ai-je touché à une fringue sur un portant, la voici qui repart en respiratio­n accélérée derrière moi. Je sens son masque claquer sur sa bouche ouverte, et je me retourne : « On ne peut pas toucher, c’est ça ? » Elle est au supplice : « Si, vous pouvez… » Elle voudrait ajouter « si vous voulez vraiment l’acheter », mais elle n’ose pas, car c’est une bonne vendeuse, elle connaît son métier, elle sait que l’incertitud­e fait partie du plaisir du shopping, et que, sans lui, nous entrons dans une consommati­on « pas glop », comme on disait jadis dans « Pif Gadget », à savoir: « On bade ». Ce n’est pas bon de bader. Si on le fait trop, on sort de la boutique et retourne vivre en pyjama chez soi.

Mais continuons notre shopping. Tiens, voici une chemise ravissante, blanche et lumineuse comme une convalesce­nce ! « Je peux essayer ? » La vendeuse est ravie de pouvoir dire oui, elle a vraiment envie de reprendre ces automatism­es. J’entre dans la cabine et referme la porte sur moi, quand j’entends sa voix me dire : « Et surtout, ne vous inquiétez pas : les cabines sont désinfecté­es après chaque passage. » Ce rappel de notre condition me fait regarder le prix de la chemise : 75 euros. Et je me surprends à penser : « Ce serait mieux à 7,50 euros. » Bref, je re-bade. J’essaie tout de même et je sors, pour me regarder dans le grand miroir. La vendeuse s’extasie : « Ça vous va à merveille! » Je me re-regarde. Comment sait-elle que ça me va ? Là, masquée, je ressemble à tout le monde. Qui a envie de ressembler à tout le monde ? Et soudain, le mensonge adorableme­nt commercial de la vendeuse me saute aux yeux (puisque tout le reste est protégé). « Je vais réfléchir », je lui dis. A la lisière de nos masques, nous nous regardons les yeux en fente, comme dans « Il était une fois dans l’Ouest ». C’est bête, elle me plaisait cette chemise blanche.

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MET À RUDE ÉPREUVE LE SHOPPING.
MALGRÉ LA RÉOUVERTUR­E DES MAGASINS, LA CRISE SANITAIRE MET À RUDE ÉPREUVE LE SHOPPING.

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