“PERSONNE NE HAIT JOE BIDEN, PERSONNE N’EN A PEUR”
L’agressivité du président renforce l’opposition. Au point de donner un avantage significatif à son adversaire démocrate, selon Allan Katz, professeur de science politique et ex-ambassadeur d’Obama
Sondages, journalistes, bookmakers... Beaucoup de gens semblent persuadés que Trump sera réélu. Pourquoi ?
Tout le monde ou presque avait prévu qu’il perdrait en 2016, personne n’a envie de se ridiculiser deux fois de suite. Et puis les présidents sortants sont généralement réélus. Dans l’histoire récente, seuls Jimmy Carter et George H. Bush n’ont pas réussi à décrocher un second mandat. La façon désastreuse dont Trump a géré la pandémie va-t-elle le faire perdre ?
Ce sera un facteur très significatif. Mais même avant cette crise, je prédisais qu’il serait battu, un peu pour les mêmes raisons : cette débâcle est emblématique de la manière dont il a géré tant d’autres problèmes. La di érence, c’est que cette crise-ci a des e ets profonds sur la vie quotidienne de millions d’Américains.
En quoi est-ce emblématique ?
Il a constamment refusé d’assumer la moindre responsabilité sur les conséquences de ses actes, il a échoué à unir les Américains, il a refusé de fonder ses choix sur l’expertise. Et il s’est entouré de personnes sans expérience, d’extrémistes ou de personnalités médiatiques qui n’auraient été engagés dans aucune autre administration républicaine.
Quel critère retiendra-t-on pour juger sa gestion du coronavirus ? Le nombre de morts ?
Pas seulement. A New York, l’Etat qui a le plus sou ert de la pandémie, le gouverneur n’était pas particulièrement apprécié. Mais Cuomo est devenu très populaire, malgré le nombre de victimes, en se montrant à la hauteur. Trump, non.
Comment aborde-t-il cette campagne ?
En général, quand vous êtes en fin de premier mandat et que vous avez un problème de popularité, comme George W. Bush en 2004, ou Barack Obama en 2012, vous cherchez à faire de l’élection un choix binaire : « Vous ne m’aimez peut-être pas, mais mon adversaire est vraiment horrible. » Le challenger, à l’inverse, cherche à transformer l’élection en référendum sur le président sortant. Or le problème de Trump, c’est qu’il est psychologiquement incapable de mener une campagne qui ne soit pas centrée sur sa seule personne.
Il a déjà commencé à démolir Biden...
Mais il reste tellement peu d’électeurs qui ne se sont pas fait une opinion sur Trump ! Vous avez de 35% à 40 % d’Américains qui voteraient Trump même s’il flinguait quelqu’un au beau milieu de la 5e Avenue. Et en face, 50% d’Américains, ou un peu plus, qui ne voteraient pas pour lui, même s’il annonçait demain un traitement universel contre le cancer. En dehors de ces deux blocs, il ne reste pas grand-monde.
Quant à Biden, il y a une di érence énorme avec Hillary Clinton : personne ne hait Joe Biden, personne n’a peur de Joe Biden. Alors qu’en 2016, les Républicains qui n’aimaient pas Trump ont fini par voter pour lui parce qu’ils ne supportaient pas Clinton. La campagne de Trump essaie de monter en épingle les ga es de Biden, ses hésitations ? Et le président, alors ? Il ne cesse d’inventer des trucs. Cela me rappelle la vieille blague du type dont la femme reçoit des photos de lui en compagnie d’une autre femme, et qui dit à son épouse : « Tu me crois, ou tu crois tes yeux mensongers? » C’est un peu l’approche de Trump.
Biden n’était pas votre premier choix, pendant les primaires. Quels sont ses points forts ?
Il a parfois commis des erreurs et un candidat plus jeune aurait été préférable pour les démocrates. Mais c’est un type bien, un homme honnête, et je pense que cette qualité est une grande force, vu le président que nous avons. Biden peut justifier d’une longue carrière, il a accompli la plupart du temps de bonnes choses pour le pays. Et il est perçu comme quelqu’un avec qui les gens sont à l’aise. Il commet des ga es dans sa façon de formuler les choses, c’est vrai, mais il maîtrise parfaitement son sujet et s’entourera d’une équipe de premier ordre.
Ne devrait-il pas devenir plus visible ?
Il ne peut pas occuper le devant de la scène, c’est actuellement impossible. Mais n’oubliez pas ce vieil axiome de la politique : quand un adversaire se fait du tort, n’allez pas l’interrompre. Trump se montre partout tout le temps, il solidifie le soutien de sa base, c’est vrai, mais renforce aussi son opposition.
A quoi ressemblera le choc frontal entre les deux candidats ?
Il est fort possible que Trump refuse de débattre avec Biden, ses alliés commencent déjà à préparer le terrain en accusant les organisateurs de ces débats d’être partiaux. Je pense que Trump fera tout pour éviter ce face-à-face. Pour le reste, il ne reculera devant rien. En général, en politique, vous vous interdisez certaines choses de peur d’aller trop loin, d’être embarrassé par vos actes. Ce ne sera clairement pas le cas avec ce candidat.
Si je conseillais Trump, je lui suggérerais d’admettre les conséquences de cette pandémie et de dire: « Ok, on a commis des erreurs, mais voilà ce que nous faisons aujourd’hui. » Il aurait pu présenter une stratégie pour le pays, une façon de rassembler les Américains. C’est la seule chose qui aurait pu conduire certains électeurs à reconsidérer l’opinion qu’ils ont de lui. Le problème est que notre vie politique a tourné le dos à ce genre de calcul : elle est devenue tellement tribale que même si quelqu’un sort un tombereau d’âneries mais porte le maillot de votre équipe, vous lui passez tout.
Aux élections de mi-mandat de 2018, les démocrates ont été nombreux à voter. N’a-t-on pas tendance à surestimer la motivation, l’enthousiasme de la base de Trump et sous-estimer la mobilisation des démocrates, leur rage de se débarrasser de ce président ?
Si, et il est très possible que cette présidentielle soit similaire, pour les démocrates, à ce qu’avait été l’élection de 1980 pour les républicains. Reagan avait largement battu Carter et les républicains avaient pris le contrôle du Sénat. Trump pourrait perdre avec une marge de 5 ou 6 points, le potentiel existe d’une défaite claire et nette. Les gens sont fatigués du drame permanent, de ce type qui les bombarde constamment de ses griefs – même si cela a été la clé de son succès politique auprès d’une partie de la population.
Quel rôle jouera l’économie dans ce scrutin ?
Très important, évidemment, même si ce ne sera pas forcément le facteur déterminant. Elle risque d’être dans un état tellement catastrophique que, même si le chômage diminue un peu et se stabilise à 15 %, Trump ne pourra pas crier victoire. La convalescence sera longue, et de nombreux jobs risquent de disparaître pour de bon.
“TRUMP EST INCAPABLE DE MENER UNE CAMPAGNE QUI NE SOIT PAS CENTRÉE SUR SA SEULE PERSONNE.”