Paris-Liverpool, match nul
NE PLUS JAMAIS MARCHER SEULS, PAR LAURENT SEYER, FINITUDE, 200 P., 17 EUROS.
Il y eut donc, le matin du 13 novembre 2015, de l’autre côté de la Manche, une première déflagration. Elle faillit provoquer une rupture diplomatique entre Paris et Londres. Ce jour-là, la journaliste française Naomi Strauss, de l’hebdomadaire de gauche « la Voix », était venue rendre visite, à l’hôpital de Liverpool, chambre 315, au chauffeur de taxi Nick Doyles, dont elle était chargée de faire le portrait pour la rubrique « Eux et nous ». Blessé après avoir sauvé un bébé de quatre mois d’un immeuble en feu, Nick Doyles était devenu un héros. La reine en personne se rendit à son chevet pour le féliciter et saluer son acte de bravoure. C’est alors que, faisait fi du protocole, Naomi Strauss demanda à Sa Majesté quel était son « avis personnel sur le Brexit ». Elisabeth II méprisa la question et quitta la chambre sans un mot. Aussitôt, sur les sites de la presse britannique, on estima que la journaliste de « la Voix » avait « agressé » la reine, on condamna la « France arrogante » et son ingérence dans la politique du RoyaumeUni, lequel exigea des excuses et força l’Elysée à publier un communiqué contrit. Tempête dans un verre d’eau qui aurait encore gonflé et coûté sa place à Naomi Strauss si, quelques heures plus tard, à la nuit tombée, les attentats meurtriers du Bataclan n’avaient tué dans l’oeuf et le sang cette dérisoire polémique. C’est une des meilleures scènes de ce roman, qui n’en manque pas. Laurent Seyer (photo), sociétaire de l’Eurostar, dont la vie se partage entre l’Angleterre et la France, dribble volontiers d’un pays à l’autre. Il y a deux ans, il avait consacré son premier livre, « Les poteaux étaient carrés », à la défaite, en 1976, dans le légendaire stade de Glasgow, des Verts de Saint-Etienne devant le Bayern de Munich. Aujourd’hui, il arbitre, dans le stade d’Anfield, un match imaginaire, mais bien senti, entre une caricature avenante du Paris bobo-bio et un représentant bourru du Liverpool eurosceptique. Champagne vs bière. Snobisme contre populisme. D’un côté, Naomi, une journaliste culturelle de 32 ans qui court les générales, les festivals et les vernissages, de l’autre, Nick, un ancien hooligan de 44 ans qui ne s’est jamais remis de la tragédie de Hillsborough, où périrent quatrevingt-seize supporters des Reds. On ne vous dira pas comment ni jusqu’où les deux contraires vont se rapprocher et s’unir, mais Laurent Seyer est assez doué pour nous en convaincre. On lit son roman comme on regarderait, filmé par un émule de Ken Loach, un match de foot au suspense croissant, même si l’issue est prévisible. Les seuls vrais perdants de la confrontation, ce sont les préjugés.