L'Obs

Dabadie, les choses de sa vie

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« Vous qui pénétrez dans mon coeur, ne faites pas attention au désordre. » Comment mieux résumer que par cette réplique de « Nous irons tous au paradis » nos sentiments quand, six jours après Michel Piccoli, nous apprenions la mort, à 81 ans, de Jean-Loup Dabadie, qui lui écrivit quelques-uns de ses plus grands rôles, comme dans « les Choses de la vie » et « Max et les ferrailleu­rs » ? Baumes précieux à nos coeurs de spectateur­s, les beaux mots de Dabadie ont su dire les émois et les maux de nos vies. En chansons (plus de 350 textes pour Julien Clerc, Reggiani, Polnareff ), en sketchs (pour son cher Guy Bedos, en particulie­r), au théâtre, et, comme scénariste et dialoguist­e des plus belles pages du cinéma français des années 1970-80. Nul n’a su mieux que lui raconter les amis, le couple, les enfants, les marrades, les engueulade­s, les hommes qui tombent, les autres qui les ramassent, les regards aigus et brûlants des femmes que l’on désire et que l’on craint… De « César et Rosalie » de Claude Sautet, ce film qui apprend à aimer et qui a immortalis­é Romy, au « Sauvage » de JeanPaul Rappeneau, avec Deneuve et Montand en version française et bronzée du duo Katharine Hepburn et Spencer Tracy. Sans oublier les scénarios pour son copain de Broca, les attachants « la Gifle », « Violette et François » et « Clara et les chics types » avec la toute jeune Adjani.

Quand il vous donnait rendez-vous pour une interview dans son appartemen­t de la rue de Passy, Dabadie ne comptait pas les minutes ni les anecdotes, imitant Lino Ventura, qui disait non à tous les rôles en vous recevant chez lui avec un plat de pâtes, ou Montand, dont il mit à nu avec une tendresse infinie le machisme plastronne­ur et soupe au lait. Se mêlaient à son fabuleux sens du récit l’orgueil de l’élève studieux (bachelier à 13 ans et demi, romancier à 17 ans, élu à l’Académie française en 2008) et l’enthousias­me du gamin émerveillé qu’il n’a jamais cessé d’être. Cet « écrivain de spectacle », comme le surnommait Truffaut, boosté à l’humour et à la mélancolie, était un homme de bande, son indéfectib­le amitié avec Claude Sautet et Yves Robert dessinant les deux versants, grave et léger, de sa carrière au cinéma. D’un côté, « Vincent, François, Paul et les autres », de l’autre, le diptyque « Un éléphant, ça trompe énormément »/« Nous irons tous au paradis », alpha et omega du film choral sur la camaraderi­e masculine, souvent imités, jamais égalés. Dabadie, dandy badin, détestait qu’on parle de lui comme le portraitis­te de la France giscardo-pompidolie­nne. « J’écrirais les mêmes personnage­s aujourd’hui », assurait-il. Et nous les aimerions encore et toujours, comme nos contempora­ins éternels.

NICOLAS SCHALLER

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