L'Obs

Iggy Pop colonisé

THE BOWIE YEARS, PAR IGGY POP (COFFRET 7 CD, PANTHEON/UNIVERSAL).

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« Le pauvre Iggy était devenu pour moi un cobaye qui me permettait d’expériment­er ce que je voulais faire avec le son… », disait David Bowie à propos de « The Idiot » et « Lust for Life », deux disques d’Iggy Pop qu’il a produits et coécrits en 1977. Cette confidence résonne en vous, alors qu’on publie le co ret « Iggy Pop The Bowie Years », qui contient aussi des inédits live. A sa sortie, un critique anglais avait écrit avec perfidie qu’il tenait « The Idiot » pour son « deuxième album préféré de Bowie ». Faut-il voir dans cette chef-d’oeuvresque collaborat­ion une version esthétique des rapports du colonisate­ur et du colonisé, avec Iggy Pop dans le rôle du Bon Sauvage au raw power ? Un génial brouillon de « Low » et de « Heroes », les deux disques de kraut-funk que Bowie publia aussi en 1977 ?

A la mort de Bowie, Iggy Pop dira qu’il a perdu son « bienfaiteu­r ». En 1976, l’ex-chanteur des Stooges est au fond du trou. Il ressemble de plus en plus à Valérie Pécresse, sou re d’une addiction à l’héroïne et, dans l’excès de son désespoir, songe à auditionne­r pour devenir le chanteur du groupe Kiss. A Berlin, il partage un appartemen­t avec Bowie. « Il serait temps qu’Iggy se trouve un appartemen­t à lui », dit alors le président du fan club européen des Stooges. Colonisati­on artistique? Sur « The Idiot », Bowie, inventif et dominateur, est partout. Il exploite et ra ne une matière première nommée Iggy. Directeur artistique, il recommande à Pop de chanter « Funtime » « comme l’eût fait Mae West ». Sur « Tiny Girls », il est même saxophonis­te. Il y a moins de kraut-funk et plus de guitares rock à la Stooges sur « Lust for Life ». Mais Bowie y cosigne sept des neuf morceaux, dont celui qui donne son titre au disque. Il l’a écrite sur un ukulélé, devant la télé, en attendant la di usion de « Starsky & Hutch ». Elle est devenue la chanson la plus célèbre d’Iggy Pop. Dans les années 1980, le « bienfaiteu­r », pour renflouer les droits d’auteur de son infortuné protégé, reprendra des chansons d’Iggy Pop : une sur « Let’s Dance » (« China Girl », où Iggy chronique sa brève liaison avec la petite amie de Jacques Higelin) et pas moins de cinq sur « Tonight ». Dans les années 1970, quand Bowie rendit visite aux parents de Pop qui vivaient dans une caravane à Detroit, le père le remercia « pour tout ce qu’il faisait pour son fils ». Alors Iggy Pop dit à son père: « Tais-toi, papa, tu me mets la honte… »

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