L'Obs

L’histoire d’un service qui fut public

- Véronique Groussard

21h05 FRANCE 3

La Saga du rail

Documentai­re de Virginie Linhart (2020). 1h30. « Cette nuit encore, j’ai rêvé du train. Toutes les nuits je conduis et… ça fait quatorze ans que je suis parti », dit l’un ; « Je regarde des vidéos de train », raconte un autre. Même retraité, un cheminot le reste à vie. Plus qu’un métier qu’on embrasse souvent de père en fils, le rail est, au xxe siècle, une religion, une fierté, une famille. Les salariés vivent en autarcie dans des cités cheminotes ; se syndiquent – sans avoir vraiment le choix – à la CGT ; se découvrent fer de lance de la contestati­on ouvrière avec le pouvoir d’arrêter le pays ; s’émerveille­nt de la prouesse technologi­que du TGV ; se glorifient d’avoir appartenu à une immense communauté de résistants pendant la Seconde Guerre mondiale. A la sortie du conflit, la SNCF, décorée de la Légion d’honneur et de la croix de guerre, se voit magnifiée dans un film qu’elle soutient ardemment, « la Bataille du rail » de René Clément, sorti en 1946. Des résistants, il y en a eu beaucoup, bien sûr, mais, en 2011, Guillaume Pepy, le PDG de l’entreprise, écorne la mythologie et rétablit la vérité historique : la SNCF a été un rouage de la machine d’exterminat­ion nazie, elle a transporté 76 000 juifs vers les camps de concentrat­ion. Il y avait tout à craindre d’une saga courant sur deux siècles mais la réalisatri­ce, Virginie Linhart, parvient à tricoter l’intime et l’épopée. Et surtout à montrer comment les 38 000 kilomètres (30 000 aujourd’hui) de voies, les centaines de ponts, viaducs, tunnels, permettant la circulatio­n, ont structuré la France, devenue un seul et unique territoire. Détail amusant : autrefois, chaque région avait son heure locale en fonction de l’orientatio­n du soleil mais, pour ne pas se retrouver à quai, les voyageurs ont appris à régler leur montre sur celle de Paris. L’Etat avait exigé des six compagnies privées, bénéficiai­res d’une concession (jusqu’à la nationalis­ation en 1938), qu’elles fassent rouler trois trains quotidienn­ement, y compris sur les lignes peu fréquentée­s. C’était la marque d’un service public. Intéressan­t à se remémorer au moment où le mouvement inverse est en marche, où de multiples petites lignes ferment, isolant certaines régions du pays.

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