Au pays du kitsch
En politique, la France adopte les modes à contretemps. Long quand il faudrait s’habiller court, près du corps quand le style devient ample. Déjà, au temps des Trente Glorieuses qui virent triompher des Kennedy aux dents blanches et des chefs de gouvernements sociaux-démocrates, les Français se rangèrent derrière le monarque républicain de Gaulle, dernier connétable en armes issu de notre Histoire. Face aux chocs pétroliers, nous eûmes Giscard d’Estaing, le Louis-Philippe de Chanonat. Et en pleine révolution néolibérale thatchéro-reaganienne, François Mitterrand, qui promettait de « changer la vie » en appliquant un ersatz du programme commun socialocommuniste. Plus kitsch que tendance !
Point de Tony Blair, de Bill Clinton ou de Gerhard Schröder chez nous, la vague des sociaux-libéraux des années 1990 est passée au large de nos côtes. A droite, le roi Chirac fut le moins réformateur de tous les chefs d’Etat du monde libre. A gauche, Lionel Jospin puis François Hollande, tenus par la tribu socialiste, ont conservé leurs complets des congrès. Il aurait fallu vivre avec son époque… Entretemps, Nicolas Sarkozy avait louché vers l’Amérique qui « travaille plus pour gagner plus », mais la crise financière de 2008 envoya le cow-boy au tapis.
Dernière manifestation de notre exception : tandis que le populisme trumpien affolait les Etats-Unis, que le Brexit secouait le Royaume-Uni et que Salvini le démago prétendait mettre l’Italie à sa botte, nous optâmes, en la personne d’Emmanuel Macron, pour un jeune europhile libéral. Un choix audacieux et anticonformiste ? C’est ce que le reste du monde a d’abord voulu croire. Mais en butte à l’insurrection des « gilets jaunes », aux défenseurs de nos 42 régimes de retraite ou aux partisans de la chloroquine pour dézinguer un virus mortifère venu de Chine, cet ovni politique a été ramené sur terre. Et voici que sa formation politique qui devait transcender les clivages partisans se balkanise. Dans la crise sanitaire, ce « président des riches », plus pragmatique qu’il n’en a l’air, a nationalisé les salaires de 12 millions de travailleurs et contracté des centaines de milliards d’euros de dette publique pour relancer l’économie.
Qu’importe, la majorité de nos concitoyens se montrent les plus défiants du monde à l’égard de leur gouvernement. Il s’agirait même de le faire condamner par les tribunaux pour impréparation à la crise sanitaire et négligence sur les masques que le peuple, dans sa sagesse atavique, porte parfois sous le menton. Vertige du populisme.
Serions-nous encore à contre-courant ? Il suffit pour s’en convaincre d’observer nos voisins italiens. De l’autre côté des Alpes, Salvini ne joue plus au matamore. Malgré une épidémie meurtrière, deux Italiens sur trois font confiance à Giuseppe Conte, le très modéré président du Conseil des ministres. Si demain le peuple américain, horrifié par la haine qui suinte de la Maison-Blanche, finissait par renvoyer Donald Trump à ses parcours de golf, le risque est grand de voir les Français s’enticher, par esprit de contradiction, d’une gorgone ou d’un butor populistes lors de l’élection présidentielle de 2022. Déjà, les prétendants au trône de roi des beaufs se poussent du col. Pourquoi pas eux, puisque nous sommes censés avoir tout essayé ?
A moins que nous nous mettions pour une fois à la page. Les peuples les plus éclairés sont aujourd’hui dirigés par des femmes empathiques, écologistes et volontaires comme la Néo-Zélandaise Jacinda Ardern, la Danoise Mette Frederiksen ou l’Islandaise Katrín Jakobsdóttir. Combien de temps nous faudra-t-il encore attendre ?