L’AMÉRIQUE, À JAMAIS RACISTE ?
Depuis quelques jours, plusieurs villes américaines sont en proie à des violences. La mort de
George Floyd, un Noir décédé lors de sa brutale arrestation par des policiers blancs à
Minneapolis, dans le Minnesota, a provoqué un déchaînement de colère. Nombreux sont les Américains qui n’en peuvent plus des agressions commises par les policiers sur les Noirs.
Ils ont décidé de passer à l’action.
L’une des raisons de cette colère, c’est l’impression que le racisme endémique aux Etats-Unis est un problème sans solution. Après la guerre de Sécession, le principe de l’émancipation des Noirs avait enfin été inscrit dans la Constitution, en 1870. Mais entre l’objectif et la réalité, il existe un gouffre qui n’est toujours pas résorbé près d’un siècle et demi plus tard. Il a fallu attendre l’action déterminée du président Lyndon B. Johnson, au milieu des années 1960, pour que les Noirs américains puissent réellement exercer leur droit de vote et accéder aux mêmes services que les Blancs partout aux Etats-Unis. Malgré ces avancées, le racisme reste présent dans toutes les dimensions de la vie quotidienne des Américains, au point d’expliquer des caractéristiques singulières comme l’absence d’un système national d’assurance-maladie – une anomalie dans le club des pays les plus développés.
Il faut dire que certains dirigeants ne se sont pas privés d’exploiter ce racisme à leur avantage. Richard Nixon, républicain élu à la Maison-Blanche en 1968, était passé maître dans l’art de désigner les Noirs à la vindicte des électeurs racistes des Etats du Sud. Il lui suffisait de dénoncer la complaisance des démocrates à propos de la consommation de drogue ou des manifestations étudiantes pour que les électeurs comprennent son message : avec Nixon, on allait rétablir l’ordre… et l’ascendant des Blancs sur les Noirs.
Plus tard, Ronald Reagan, élu à la présidence des Etats-Unis en 1980, a exploité à son tour le même argument, mais sous un angle plus économique. En dénonçant l’« assistanat » (le fait, selon lui, que certains roulaient sur l’or sans travailler, simplement en touchant des prestations sociales), il a envoyé lui aussi un message clair : « C’en est assez, pour les Blancs des classes moyennes, de payer des impôts qui financent ces prestations versées aux seuls Noirs. » Cette façon de présenter les choses a provoqué une telle onde de choc dans l’électorat que les démocrates eux-mêmes ont été contraints de modérer leur message et de cesser de trop parler d’émancipation des Noirs.
On a cru, pendant un temps, que ce racisme longtemps entretenu pour des motifs partisans était enfin en voie de se résorber. A l’époque de George W. Bush, les Etats-Unis étaient si occupés par la lutte contre le terrorisme, après les attaques du 11 septembre 2001, que le Parti républicain n’avait plus guère besoin de flatter les électeurs blancs racistes. Puis, avec l’élection de Barack Obama en 2008, nombreux sont ceux qui se sont dit que les Américains avaient enfin exorcisé le démon de ce racisme institutionnalisé par leur histoire et par leurs pratiques.
Malheureusement, il n’en est rien. La simple présence d’Obama à la Maison-Blanche a, semble-t-il, contribué à intensifier la haine éprouvée par certains électeurs. Puis Trump a fait irruption dans le paysage et franchi un palier dans l’exploitation des sentiments racistes des électeurs. Depuis qu’il a battu Hillary Clinton, en 2016, il n’existe presque plus de limites institutionnelles ou culturelles à l’expression du racisme. C’est la raison pour laquelle les violences policières envers les Noirs atteignent un niveau sans précédent – le tout dans une atmosphère tendue à l’extrême par la prolifération des armes à feu.
L’histoire ne peut que nous rendre pessimistes pour la suite. Trump va tenter d’exploiter les violences à son avantage en dénonçant les manifestants et les positions qu’ils défendent, contribuant ainsi à tendre encore plus la situation. Les électeurs blancs pourraient être d’autant plus sensibles à son message que 40 millions (!) d’Américains sont aujourd’hui au chômage du fait de la crise du Covid-19. Les tensions raciales pourraient rester cette malédiction qui poursuit et détruit les Etats-Unis depuis l’origine.
D’autres, en revanche, sont plus optimistes. Trump a atteint un tel niveau d’outrance dans l’expression de son propre racisme qu’il pourrait provoquer un sursaut de décence chez la majorité des électeurs. Par ailleurs, le paysage médiatique n’est plus le même que dans les années 1960 ou 1980. Désormais, grâce aux smartphones, ce sont les citoyens qui rendent visible l’expression du racisme au quotidien, contribuant à une prise de conscience sans précédent dans l’histoire. Presque deux cent cinquante ans après leur fondation, les Etats-Unis vont-ils enfin laver leur péché originel ?