L'Obs

“On risque de rendre les finances publiques insoutenab­les”

- Agnès Bénassy-Quéré est professeur à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne et à l’Ecole d’Economie de Paris. Elle a présidé le Conseil d’Analyse économique de 2012 à 2017. Propos recueillis par S. F.

Les Banques centrales achètent la dette des Etats. Les taux d’intérêt restent bas. C’est comme si la dette disparaiss­ait…

C’est ce que disent certains économiste­s, mais c’est inexact : cela ne fait que transforme­r une forme de passif (la dette) en un autre : la monnaie créée par la Banque centrale. Comme celle-ci appartient à l’Etat, cela revient au même comptablem­ent, mais cela permet, à long terme, de transforme­r des dettes en liquidités.

La dette achetée par les Banques centrales pour payer le chômage partiel devra donc être remboursée un jour?

En général, l’Etat rembourse une dette en s’endettant de nouveau, à condition de trouver des acheteurs pour la nouvelle dette. La Banque centrale peut être cet acheteur. Tout dépend de la situation sur le front de l’inflation. La Banque centrale doit pouvoir, si l’inflation revient un jour, revendre la dette des Etats [pour diminuer la quantité de monnaie en circulatio­n, NDLR]. Cela ne sera pas possible si la dette a été « annulée » ou si c’est une dette perpétuell­e à taux d’intérêt nul, dont personne ne voudra.

Il n’y a pourtant pas d’inflation en vue.

Certes, mais elle peut resurgir. Il faut que la BCE garde son indépendan­ce et puisse agir, le cas échéant. Qui saurait prédire l’inflation en 2030 ou en 2050? Si la BCE s’engage à garder pour toujours son bilan gonflé pendant la crise, elle s’interdit de revendre les emprunts d’Etat qu’elle possède pour réduire la liquidité dont disposent les banques et ainsi limiter les hausses de prix.

De toute façon, l’annulation de la dette est exclue par le traité européen.

Les Etats européens devraient donc être plus prudents dans leurs plans de soutien ou de relance pour limiter l’explosion de la dette?

Pas forcément. Les Etats ne sont pas comme les ménages. Nous sommes mortels, nous devons rembourser nos dettes. Pas les Etats, qui peuvent réémettre de la dette pour remplacer celle qui arrive à échéance. Mais il faut être vigilant : la dette doit pouvoir être stabilisée dans le temps. Il y a une grosse différence entre un déficit élevé mais temporaire, le temps de la crise, et un déficit permanent qui, en période de croissance faible, peut rendre les finances publiques insoutenab­les.

Supprimer les cotisation­s sociales pour aider un secteur à passer la période de confinemen­t, c’est une mesure temporaire ; les réduire définitive­ment sans baisser les dépenses du même montant, cela produit du déficit structurel. On peut aussi faire du déficit pour l’investisse­ment, si cela permet d’augmenter le rythme de la croissance et donc des recettes fiscales futures. Mais pas pour les dépenses courantes.

Donc pas de dette pour augmenter les infirmiers?

C’est un bon exemple. On peut payer la recherche et développem­ent, l’investisse­ment dans le matériel à l’hôpital par la dette. Mais les personnels doivent être payés par l’impôt et les cotisation­s sociales. Ou en prenant l’argent sur d’autres budgets.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France