L'Obs

Casablanca, mélo ultime

CASABLANCA, PAR MICHAEL CURTIZ. MÉLODRAME AMÉRICAIN, AVEC HUMPHREY BOGART, INGRID BERGMAN, PAUL HENREID, CLAUDE RAINS, PETER LORRE (1942, 1H42). EN VOD SUR MYCANAL, LACINETEK, EN DVD CHEZ WARNER.

- FRANÇOIS FORESTIER

Bogart s’éloigne dans le brouillard, sur l’aéroport de Casablanca, en compagnie d’un capitaine en képi nommé Renault. L’amour de sa vie, Ingrid Bergman (photo), vient de s’envoler dans la nuit, fuyant les nazis avec son mari (Paul Henreid, photo). C’est la guerre, c’est au bout du monde, c’est Hollywood – et on a le coeur déchiré. Bogart reste là, avec son chapeau, sa clope, son imper, son night-club et ses illusions émiettées. Voici le mélo ultime, le film qui fait pleurer Margot – et qui colle la boule dans la gorge, même quand on est un critique endurci par les conneries des superhéros et les films d’Isabelle Huppert. Flash-back : en 1967, « Casablanca » était oublié. Dans l’« Histoire du cinéma mondial », la bible des cinéphiles, Georges Sadoul considérai­t alors que le film entrait dans la sous-catégorie des films sur une France « peuplée d’imbéciles, d’Allemands stupides et d’Italiens mandolinis­tes ». Par l’un de ces hasards dont il avait le secret, Henri Langlois, boss de la Cinémathèq­ue, retrouva une copie sous-titrée en hongrois. Je me souviens de notre émerveille­ment. A la fin de la projection, au palais de Chaillot, le silence se fit. Chacun, passant devant la statue de Paul Adam (1862-1920), cartomanci­en, boulangist­e et témoin de Jean Lorrain lors de son duel avec Marcel Proust, fredonnait « As Time Goes By », avant de prendre le dernier métro. Ce film-là, c’était un talisman, un poème d’un romantisme inouï. Nous avions 20 ans et nous n’allions pas laisser repartir la future et encore inconnue femme de notre vie. Jamais. Les années ont passé, « Casablanca » demeure une beauté. Le plus curieux, c’est qu’au départ l’incolore Ronald Reagan devait tenir le rôle principal. Il fut remplacé par George Raft, voyou notoire et terreur des boudoirs. Lequel fut lui-même remplacé par Bogart, Dieu merci. Au début du tournage, le metteur en scène, Michael Curtiz, n’avait qu’un demi-scénario, un acteur alcoolique (Claude Rains) et un Colt 45 avec lequel il mettait fin aux journées de travail, avant d’aller rendre hommage dans sa loge aux starlettes de passage. Soixante-dix-huit ans plus tard, « Casablanca », film né dans le chaos, sorti après la guerre (dans une version dénazifiée en Allemagne), menacé d’une suite (« Casablanca 2 »), est inoxydable.

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