L'Obs

ESCOFFIER, LA RÉVOLUTION PERMANENTE

- Par Sophie Grassin

Ponctué de témoignage­s de Thierry Marx ou d’Yves Camdeborde, ce documentai­re d’Olivier Julien rend hommage à Auguste Escoffier qui se rêvait artiste et mit son amour de l’art au service des fourneaux. Portrait d’un homme de sciences et de progrès.

Al’heure des cartons d’audience de « Top Chef » et de « Tous en cuisine » de Cyril Lignac, il n’est pas inutile de se ruer sur ce docu-fiction, plus riche en docu qu’en fiction, qui revisite d’un pas vif l’itinéraire d’un visionnair­e éclairé. Issu d’une lignée de forgerons, Auguste Escoffier – les photos de l’époque le montrent arborant une élégante lavallière gris perle – rêve du métier de sculpteur. Il devient pourtant commis de cuisine à Nice, puis monte à Paris (vingt-deux heures de tortillard) pour exercer le job de rôtisseur au Petit Moulin Rouge, restaurant prisé du prince de Galles et de demi-mondaines promptes à déployer d’autres talents à l’étage. En cuisine, le coup de feu porte bien son nom : pour garder les plats chauds, on interdit d’ouvrir les fenêtres ; les émanations de charbon de bois empuantiss­ent l’atmosphère ; les apprentis carburent à la gnôle ; les gifles et les coups d’écumoire pleuvent. Escoffier va faire passer « la cuisine du Moyen Age aux temps modernes », explique son arrière-petit-fils, Michel, président de la Fondation Escoffier, joint à Londres. Comment ? « En introduisa­nt des standards de fonctionne­ment encore en vigueur aujourd’hui, en proscrivan­t l’alcool et la cigarette, en imposant le port du foulard et de la toque pour éviter que les gars ne transpiren­t sur les mets qu’ils préparent », énumère Michel Escoffier. Mais aussi en rebaptisan­t l’aboyeur qui annonce les commandes en « annonceur », bref, en privilégia­nt hygiène et retenue. « Quand il sentait qu’il allait s’énerver, il préférait sortir faire un tour pour se calmer les nerfs », rappelle Michel Escoffier. Au fil des ans, il inventera aussi les brigades ou « la préparatio­n séquentiel­le », selon le principe de la taylorisat­ion (une tâche, une équipe), précise Elodie Polo Akermann, productric­e du documentai­re et auteure d’« Auguste Escoffier, la vie savoureuse du roi des cuisiniers » (Flammarion).

Foin des marinades musquées, il insuffle de la légèreté aux plats, notamment aux sauces déclinées à l’infini, comprend le premier que les convives ne veulent plus rester des heures à table et simplifie les menus calligraph­iés de sa main à l’encre violette, dédie ses fraises à sa copine Sarah Bernhardt (aller aux fraises signifiait à l’époque flirter, sinon plus) et la pêche Melba – sans chantilly, cette hérésie –, à la soprano australien­ne Nellie

Melba. Pro du marketing, « Escoffier, qui promeut le savoir-faire et le faire savoir, est le premier chef Insta », résume Elodie Polo Akermann.

Avec son double, César Ritz, Auguste roule sa bosse et lance les premiers palaces sur la Riviera et en Angleterre où le duo inaugure le Savoy. « Il y fait venir les ladies en choisissan­t des lumières propres à flatter leurs bijoux, leurs robes et leur teint », souligne Michel Escoffier. Il célèbre – préoccupat­ion ô combien actuelle – les vertus du produit en incitant les petits producteur­s à se lancer dans la culture d’asperges vertes ou de pêches ; nourrit en humaniste de ses cailles au riz pilaf les protégés des Petites Soeurs des Pauvres, à Londres ; imagine les galas caritatifs via les Dîners d’Epicure ; démocratis­e son art en élaborant le Bouillon Kub Maggi.

Il écrit, enfin, son chef-d’oeuvre, « le Guide culinaire », 5 000 recettes dans lesquelles on puise encore pour départager le meilleur ouvrier de France. Son aura ne se dément pas, son nom ouvre toutes les portes. « Je développai­s le fax pour Alcatel, se souvient Michel Escoffier, et descendais dans des hôtels luxueux où le directeur me demandait si j’étais disponible pour venir boire un verre au bar. Moi, vous pensez bien, je suis toujours disponible pour boire un verre au bar. Là, les chefs me serraient dans leurs bras en s’écriant : “Escoffier ! Oh My God !” La scène se reproduisa­it partout, en Thaïlande, au Mexique. Elle a décidé de ma mission : reprendre la fondation. »

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LA SÉLERIDEOD­COCUAMugEN­usTtAeIREE­scoffier (assis à gauche), au sein de l’équipe d’un grand restaurant niçois, en 1930.
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