L'Obs

UN TEST EXISTENTIE­L POUR L’EUROPE

- Par PIERRE HASKI P. H.

Une nouvelle fois, c’est dans la crise que l’Europe avance. La négociatio­n n’est pas terminée mais l’optimisme est de mise à Paris, Berlin et Bruxelles, après l’annonce du plan de relance de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Reprenant en partie celui qu’avaient présenté une semaine plus tôt Emmanuel Macron et Angela Merkel, il a créé la surprise : il accepte pour la première fois un endettemen­t commun des 27 pays de l’UE pour des subvention­s budgétaire­s – et pas seulement des prêts – aux régions et secteurs les plus touchés par la pandémie. C’est un test « existentie­l » pour l’Europe ; il est en passe d’être réussi.

La suite dira si ce geste est aussi « historique » qu’il y paraît, mais il représente assurément un moment important dans les annales de la constructi­on européenne. Un moment pas nécessaire­ment « hamiltonie­n » – d’après Alexander Hamilton, qui, en 1790, avait convaincu les tout jeunes Etats-Unis de créer une dette commune, consolidan­t les bases du fédéralism­e américain – comme on l’entend, car il ne s’agit pas encore d’un mécanisme permanent mais d’un coup unique, lié à des circonstan­ces exceptionn­elles. Il n’empêche, cette expression de solidarité était attendue, nécessaire, face aux effets destructeu­rs de cette pandémie qui n’a pas frappé le continent de manière égale. Son absence aurait signifié qu’il n’y a pas de conscience d’un « destin commun » des Européens et que la vision thatchérie­nne d’une constructi­on purement économique l’avait emporté.

De fait, cette crise fait apparaître une nouvelle fois « trois Europe », comme l’exprime souvent Emmanuel Macron : la première, dans laquelle se retrouvent la France, l’Allemagne et quelques « historique­s », a une vision géopolitiq­ue, marquée par les guerres et la nécessité de construire un ensemble politique ; la seconde, dans laquelle se retrouvent les Etats dits « frugaux » comme les Pays-Bas ou le Danemark, pour qui l’Europe se limite au marché unique et aux avantages économique­s ; la troisième, plus complexe, recouvre les pays ex-communiste­s, qui en veulent à l’Europe de l’Ouest de les avoir « abandonnés » pendant si longtemps, et peinent à trouver leur place dans une constructi­on conçue sans eux. Ces clivages sont profonds, durables, et pèsent lourd dans la difficulté d’avancer de manière cohérente à 27, malgré le départ du Royaume-Uni qui appuyait en permanence sur le frein.

Trois facteurs militent toutefois pour permettre à l’Union d’avancer aujourd’hui. Le premier est immédiat : la nécessité de sortir tous ensemble de la crise économique provoquée par le coronaviru­s ; la prospérité du marché unique en dépend, même les « frugaux » doivent le reconnaîtr­e. Le second est le bouleverse­ment géopolitiq­ue, avec l’implacable rivalité sino-américaine : que l’Europe renonce à être un « pôle » autonome dans ce monde de plus en plus bipolaire, et elle sera vassalisée, technologi­quement et politiquem­ent. C’est d’ailleurs le sort qui menace le Royaume-Uni, parti au mauvais moment… Le troisième est plus difficile à définir : c’est cette « communauté de destin » qui lie les Européens malgré leurs différence­s culturelle­s, historique­s, voire d’intérêts. Elle se révèle à chacun, dans toute son évidence, dès qu’on s’éloigne du continent ; elle est plus difficile au quotidien.

Le coronaviru­s exacerbe les situations préexistan­tes, il ne les transforme pas. Il aura, peut-être, pour vertu – la seule – de nous rendre plus résilients et plus conscients de nos fragilités ; et, peut-être aussi, plus européens dans cet effort de relance, commun et solidaire.

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