L'Obs

Le cahier critique

Au coeur d’un été tout en or, par anne Serre, Mercure de France, 144 p., 14,80 Euros.

- Jérôme Garcin

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nous ne laisserons pas l’envoi de ce livre sans réponse. on tient trop à la vie. anne Serre explique en effet, à la page 121, qu’elle est plutôt du genre accommodan­t. on peut, assuret-elle, la tromper, lui mentir, blesser son amour-propre. Mais qu’on ne lui réponde pas, « c’est prendre un risque ». un gros risque. parce que le directeur des editions Héros-Limite, à Genève, n’avait pas accusé réception du manuscrit qu’elle lui avait adressé ni donné suite à ses deux messages téléphoniq­ues, elle prit un fusil et le TGV pour la Suisse. elle voulait d’abord tuer le malappris et flâner ensuite dans la ville. Finalement, le lointain souvenir d’un fou doté de prétendus pouvoirs chamanique­s la dissuada de passer à l’acte. Bon, c’était un rêve, qu’elle dit produire à un rythme soutenu, mais il n’empêche, la romancière de « Voyage avec Vila-Matas » fait peur. et rire. cette chronique est une manière de la remercier de son livre et de lui dire combien on l’a aimé. elle peut donc rengainer son arme. dans ce recueil de trente-trois textes brefs, incisifs, sibyllins, qui lui a valu le Goncourt de la nouvelle, anne Serre dispose, comme les pièces biscornues d’un puzzle, quelques moments de sa vie et les assemble sans qu’on sache où s’arrête la vérité, où commence l’affabulati­on. elle se fait son cinéma, trouve à sa mère disparue un air de Liz Taylor, à une amie d’enfance des manières d’audrey Hepburn, se souvient que son père se prenait pour Musset et parlait à sa fille comme si elle était George Sand. elle ajoute une énigmatiqu­e scène de « Belle de jour », de Buñuel, sur la pelouse de la vaste maison bourgeoise où elle aurait grandi. elle veut nous faire croire à l’existence du comédien Silvio Silvio, qui tenta en vain d’attirer sur lui le regard de Fellini, et du roman que lui aurait consacré un certain Tullio Sartoli, « les Larmes de Silvio ». elle explique comment l’annonce de la mort de Beckett, « un événement considérab­le qui changeait l’état du monde », a résolu la situation amoureuse inextricab­le dans laquelle elle se trouvait et rappelle d’ailleurs avoir « toujours couché avec qui bon [lui] semblait », sans se soucier ni des mariages ni des usages. ce livre ressemble à l’ombre ricanante et contondant­e qui, dans une des nouvelles, se promène sur une route de la campagne anglaise, sous un ciel pourtant bleu et sans nuages : on ne sait trop d’où il vient ni pourquoi il nous balade de Bonn à Barcelone et de Londres à rome. d’un de ses romans qui lui est venu avec une facilité déconcerta­nte, anne Serre dit ici qu’il « allait à une allure légèrement plus rapide que moi et je devais me dépêcher de l’écrire ». et vous, dépêchez-vous de lire cet autoportra­it en trompe-l’oeil, en abyme, en accéléré et androgyne. c’est un régal.

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