L'Obs

AGNÈS BUZYN

POURQUOI ELLE Y VA

- Par MARIE GUICHOUX

E lle a retrouvé son sourire de campagne. Avenant, rayonnant même. Pour parvenir à se sauver après s’être sabordée. La candidate LREM à Paris court d’une interview radio à l’autre mais c’est l’ancienne ministre de la Santé qui, à l’antenne, tente de faire oublier ses propos explosifs du lendemain du premier tour des municipale­s. Son dos est criblé de flèches lancées par des médecins et soignants, des parents de morts du Covid-19, ulcérés par cette lucidité rétrospect­ive. De couteaux plantés par la droite, la gauche, et par sa propre famille politique. Elle est sous protection policière après un torrent de messages haineux sur les réseaux sociaux et deux « agressions ». Si les électeurs du 17e arrondisse­ment ne la crucifient pas, elle sera simple conseillèr­e de Paris au soir du second tour des municipale­s, flanquée d’une poignée de rescapés macroniste­s.

Paris est une cause perdue mais c’est aussi la seule planche de salut d’Agnès Buzyn car elle va devoir affronter, dans la foulée, une autre épreuve autrement périlleuse. « Agnès ne regarde jamais en arrière », souligne une conseillèr­e qui a travaillé à ses côtés. Droit devant elle l’attend son audition par les commission­s d’enquête du Sénat et de l’Assemblée nationale sur la gestion de la crise sanitaire. Elle a tant à redouter des sénateurs LR qui aimeraient accrocher un trophée

macroniste à leur tableau de chasse. La perspectiv­e de cette audition l’a décidée à revenir dans la course. Pour se protéger. L’Elysée, dont elle porte les couleurs, peut di cilement la laisser tomber, et la macronie, même réticente, sera obligée de la soutenir. Des plaintes déposées devant la justice salissent déjà son honneur et son nom. La première, signée par un collectif de 600 médecins, la vise pour « mensonge d’Etat » en s’appuyant sur un de ses propos – « avant de partir du ministère, j’avais tout préparé, malgré une inertie ». La pénurie de masques et de tests est dans tous les esprits.

“LA GAFFE DU SIÈCLE”

De la politique, elle n’a ni les codes ni les réflexes. Mais elle n’a pas jeté l’éponge et elle a rontera les coups lors du débat de l’entre-deux-tours. « Elle a fait la ga e du siècle, elle a été humiliée mais ce n’est pas n’importe qui. C’est une question d’amour-propre », explique une colistière qui requiert l’anonymat. Depuis l’Ecole alsacienne de sa jeunesse jusqu’aux grands établissem­ents de santé publique qu’elle a dirigés, Agnès Buzyn est une première de la classe. Brillante hématologu­e, spécialist­e de la gre e de moelle osseuse pour lutter contre des cancers spécifique­s autant qu’agressifs, elle s’est taillé une réputation de maîtrise du geste et d’empathie envers ses patients. Elle s’est construite dans un monde de mandarins machistes dont les chausse-trapes n’ont rien à envier à la politique. Si « elle a la larme facile », comme le racontent ses amies, elle est aussi solide et coriace. Mais en politique, tout se joue en place publique.

Ses larmes sont devenues célèbres le 17 février lors de la passation de pouvoir entre elle et Olivier Véran au ministère de la Santé. Une cascade de larmes qui fait couler son Rimmel, qu’elle essuie devant les caméras avec un mouchoir en papier et qu’elle met sur le compte de l’émotion au moment de quitter un ministère qu’elle a aimé. Elle sait qu’elle tourne définitive­ment la page d’une carrière qui la reliait encore au monde hospitalie­r pour embrasser une ambition politique. Quand elle a relevé le défi de remplacer au pied levé, comme tête de liste à Paris, Benjamin Griveaux démissionn­aire après la divulgatio­n d’une sextape, on a beaucoup glosé sur cette remplaçant­e poussée par l’Elysée, voire contrainte. Il n’en était rien. Sa position au gouverneme­nt était, certes, fragilisée par les manifestat­ions qui embrasaien­t l’AP-HP mais elle avait compris que son plan pour l’hôpital, Ma Santé 2022, se heurterait toujours au refus des décisions budgétaire­s à Matignon. Depuis longtemps déjà, Agnès Buzyn a fait part à Emmanuel Macron et à Edouard Philippe de sa volonté de se frotter au su rage universel. Elle a refusé d’être candidate pour les européenne­s, décliné l’o re d’une simple place de colistière sur un arrondisse­ment parisien; mais, candidate à la mairie de Paris, elle a trouvé chaussure à son pied. Agnès Buzyn a une haute idée d’elle-même. Même novice en politique, la quinquagén­aire ne conçoit pas d’arriver autrement que par le haut et pourquoi pas, penset-elle, tutoyer les sommets à Paris.

La descente n’en est que plus vertigineu­se. Alors qu’elle ferme la porte de sa permanence, boulevard du Montparnas­se, au soir des résultats du premier tour à Paris, elle est épuisée par une campagne éclair, en proie à des sentiments antagonist­es. Tenaillée par le serment d’Hippocrate, elle se reproche de n’être pas en première ligne avec ces soignants qui a rontent l’épidémie mortelle. La candidate, sonnée par un score qui la met loin derrière Anne Hidalgo et Rachida Dati, paie le prix de son ambition politique. L’orgueilleu­se se retrouve à jouer les utilités alors que son successeur, Olivier Véran, prend toute la lumière. Un cocktail explosif. Elle se livre à Ariane Chemin, journalist­e réputée du « Monde », qui la sollicite. Elle s’épanche, laisse voir une faille narcissiqu­e béante. Elle révèle avoir « alerté le directeur général de la Santé [Jérôme Salomon, NDLR] », « envoyé, le 11 janvier, un message au président sur la situation », et « averti, le 30 janvier, Edouard Philippe que les élections ne pourraient sans doute pas se tenir ». La première de la classe se justifie : « Quand j’ai quitté le ministère, je pleurais parce que je savais que la vague du tsunami était devant nous. Je suis partie en sachant que les élections n’auraient pas lieu. » Perdue, elle lâche aussi : « Je me demande ce que je vais faire de ma vie. »

A la lecture de ces propos, le cabinet du Premier ministre résonne de mots assassins à son encontre. La faute politique de Buzyn est lourde de conséquenc­es, le Premier ministre se retrouve entraîné, désormais exposé au risque juridique encouru. Le spectre de l’affaire du sang contaminé rôde sur Matignon. Edouard Philippe a la colère froide. Il intervient au plus vite à la télévision, confirme que sa ministre l’avait averti tout en soulignant qu’à la même époque d’autres scientifiq­ues avisés avaient des avis diamétrale­ment opposés. Mais le mal est fait. Droit dans ses bottes, il ne dira mot

“QUAND J’AI QUITTÉ LE MINISTÈRE, JE PLEURAIS PARCE QUE JE SAVAIS QUE LA VAGUE DU TSUNAMI ÉTAIT DEVANT NOUS.” AGNÈS BUZYN, LE 17 MARS

sur celle qui fut sa protégée au gouverneme­nt mais il n’en pense pas moins. « Depuis, il la méprise », témoigne une source qui a ses entrées à Matignon.

Pourquoi la ministre de la Santé n’avait-elle pas, de son propre chef, alerté haut et fort l’opinion ? Dans les coulisses, elle se montrait inquiète. Un fonctionna­ire en poste à la Santé se souvient aujourd’hui s’être interrogé à voix haute lorsqu’elle s’était rendue en février à Carry-le-Rouet auprès des Français rentrés de Chine et mis en quarantain­e : « Vous n’en faites pas trop? » « Vous ne vous rendez pas compte, nous allons manquer de respirateu­rs ! » avait-elle répliqué. Si elle pensait la réponse du gouverneme­nt insu sante, pourquoi n’at-elle pas mis sa démission dans la balance pour se faire entendre? Tant de discipline à l’heure d’un si grand danger laisse pantois alors qu’à ce jour, le bilan atteint les 30000 morts. Agnès Buzyn devient celle par qui le malheur est arrivé. La colère se concentre sur sa personne, la peur aiguise la recherche de bouc émissaire.

PRÉPARER SA DÉFENSE

Dans son domicile à deux pas du jardin du Luxembourg, elle se réfugie dans le silence. Elle fait juste savoir, par voie de communiqué, qu’elle a enfilé sa blouse blanche pour soigner des malades du Covid-19 à l’hôpital militaire Percy de Clamart. Avec la Grande Muette, elle n’a pas à redouter des indiscréti­ons sur sa tâche précise. Elle se préoccupe de la violence des réactions qui atteignent ses fils, son mari, Yves Lévy, spécialist­e du VIH, ancien directeur de l’Inserm qui aurait voulu récupérer la main sur les instituts hospitalo-universita­ires (IHU), pris à partie par Didier Raoult. Elle s’occupe de sa mère âgée qui tombe malade du Covid-19, de son père médecin lui-même, trompela-mort pour avoir survécu à la déportatio­n et tête de bois, qui renâcle à la distanciat­ion. Dans ces journées de sidération, elle doute, se pose toutes les questions.

L’annonce, le 2 mai, par Bruno Retailleau, appuyé par Gérard Larcher, de la création, fin juin, d’une commission d’enquête, vient simplifier son équation personnell­e à multiples inconnues. Doit-elle se consacrer entièremen­t à préparer sa défense devant les sénateurs et à l’éventualit­é de poursuites judiciaire­s? Ou peut-elle mener de front cet exercice avec une campagne de second tour qui prolongera son chemin de croix? Jusqu’au dernier moment, elle laisse dire qu’elle hésite mais son choix est arrêté avant que le Premier ministre annonce, le 28 mai, la tenue du second tour. La veille, elle réunit en visioconfé­rence ses 16 têtes de liste. Elles n’avaient plus eu de nouvelles depuis plus de deux mois. Elle leur demande de se tenir dans les starting-blocks, assure être prête. Surtout, elle libère de leur obligation ceux qui ne souhaitera­ient pas faire figurer son visage ou son nom sur leurs a ches. Si elle demande la confidenti­alité sur ces échanges, Agnès Buzyn sait que, depuis son crash, certains à LREM poussent depuis le début pour son exfiltrati­on et son remplaceme­nt par Stanislas Guérini. Inconcevab­le et politiquem­ent dangereux selon François Bayrou, qui presse la candidate de remonter en selle. Le conseiller spécial du président, Philippe Grangeon, traite avec elle en direct. Elle veut des assurances, une équipe à sa main.

RESTAURER SA CRÉDIBILIT­É

C’est une bataille médiatique qu’elle va devoir livrer. Pour restaurer sa crédibilit­é et tenter de faire oublier ses confession­s explosives. C’est la mission fixée à Gaspard Gantzer, qui devient son directeur de campagne, et à Pierre-Yves Bournazel. Le premier a vécu bien des crises à l’Elysée sous Hollande, le second, très politique, connaît Paris comme sa poche. Dès lors, chaque phrase qu’elle prononce est réfléchie, ciselée au mot près. Sur une ligne de crête, elle assure désormais : « Il n’y avait aucun départ d’épidémie quand je suis partie. Je ne savais pas si elle arriverait, quand elle arriverait, quelle serait son ampleur, quelle serait sa gravité. » Sur Twitter, les plus avertis du dossier réagissent, tel le médecin Christian Lehmann qui écrit : « Consternan­te petite fille égocentriq­ue prenant ses compatriot­es pour des jambons. »

Pour se mettre dans la roue d’Edouard Philippe et profiter de la protection d’Emmanuel Macron, elle recolle au discours o ciel : « Ils ont été très réactifs, je pourrai en témoigner. Le gouverneme­nt a été remarquabl­e, il a su s’adapter à l’évolution de l’état des connaissan­ces. Nous pouvons être fiers des mesures qui ont été prises dans notre pays, que ce soit sur le plan sanitaire ou économique. » Ses premières sorties de candidate revenue, à la terrasse d’un café parisien, à la rencontre des commerçant­s du 17e arrondisse­ment sont bordées et organisées sans les caméras de télévision. Mais l’hypothèque, pour l’heure, n’est pas levée : Quand Agnès Buzyn parle-t-elle vrai? ■

“IL N’Y AVAIT AUCUN DÉPART D’ÉPIDÉMIE QUAND JE SUIS PARTIE DU GOUVER NEMENT.” AGNÈS BUZYN, AUJOURD’HUI

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17e arrondisse­ment de Paris le 7 juin.
La candidate en campagne dans le 17e arrondisse­ment de Paris le 7 juin.
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Agnès Buzyn, alors ministre de la Santé, et le Premier ministre, Edouard Philippe, en visite à la maison de santé du Véron, à Avoine (Indre-et-Loire), le 11 février.
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Le 17 février, lors de la passation de pouvoir entre Olivier Véran et Agnès Buzyn, au ministère de la Santé.

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