L'Obs

“Les violences policières sont l’affaire de tous”

OMAR SY

- Propos recueillis par ELSA VIGOUREUX

L’appel contre les violences policières que vous avez lancé la semaine dernière sur le site de « l’Obs » a déjà recueilli plus de 170 000 signatures. Quelle lecture faites-vous de ces nombreuses réactions?

Elles me font chaud au coeur. Elles sont effectivem­ent très nombreuses, il y a donc bien un sujet. Parlons-en. Depuis que j’ai écrit cet appel, je reçois beaucoup de messages de tous horizons, y compris de la part de policiers qui font dignement leur travail et qui se sentent salis par les violences commises par certains de leurs collègues. Ces gens se sont tus trop longtemps parce que la pression est trop forte. Que la parole se libère enfin, avec peut-être une espèce de « #Metoo des keufs », tant mieux…

Il y a bien un sujet : vous avez vu comme moi ces groupes sur WhatsApp et Facebook, où certains policiers déversent leur haine, tiennent des propos racistes et illégaux. Ce que nous dénonçons ne relève donc pas du fantasme. On n’invente pas des monstres : la peur existe. Je suis pour le débat et l’échange, mais je ne comprends pas qu’on remette en question le ressenti des gens. Pour moi, la justice, ça commence par là. Il faut entendre la peur.

Vous êtes un acteur, la personnali­té préférée des Français, vous n’avez pas l’habitude de prendre la parole sur des sujets politiques. Pourquoi ?

Je suis plutôt discret, en effet, et je dois dire que c’est même d’ordinaire pour moi un principe de fermer ma bouche, d’échapper à la cacophonie, qui selon moi annihile tout propos. Je crois que les violences policières sont l’affaire de tous. Si j’ai décidé de m’exprimer, c’est que je ne pouvais pas faire autrement. Ma crainte de voir se multiplier les injustices me rendait le silence insupporta­ble. J’ai préféré l’écriture à la parole. Je crois à la puissance des mots, ils ne font pas de vacarme, ils se posent là, et je pense que le sujet doit être abordé dans le calme et la raison.

Vos détracteur­s vous reprochent de vivre confortabl­ement à Los Angeles et d’avoir cherché à échapper à la fiscalité française. Les réalités que vous dénoncez ne sont-elles pas loin de vos préoccupat­ions aujourd’hui ?

Je ne comprends pas la question, c’est un peu comme si vous me demandiez si j’habite loin de moi-même? (Rires.) Et les commentair­es que vous évoquez me font plutôt de la peine, quand je pense à ce qu’il faut de rancoeur pour les formuler. Ils me rappellent les mots de la méchante conseillèr­e d’orientatio­n qui me disait « va faire BEP, toi ! ». Je sais que ces gens aimeraient me voir ailleurs, trouvent que je ne suis pas à ma place, et c’est bien pour ça que j’y suis ! J’invite ces personnes à se renseigner sur la fiscalité californie­nne, qui n’a rien à voir avec celle des Bahamas. Je paie des impôts en France, je rappelle que je suis citoyen français, et à ce titre il me semble que j’ai le droit d’appeler à la justice.

Je ne vais pas m’excuser de ce que j’ai fait de ma vie, je ne dois ma réussite qu’à moi-même. Au contraire, j’en suis fier. Et c’est avec d’autant plus de force que je me souviens d’où je viens. J’ai grandi dans la banlieue parisienne, à Trappes. J’ai vécu certaines choses que je n’oublierai pas. Que des enfants continuent dans

les quartiers populaires de vivre aujourd’hui la peur que j’ai connue hier me dérange, oui. Rien n’a changé. Je suis libre de le dire, et de m’en indigner.

Votre prise de conscience est bien antérieure à la mort de George Floyd…

E ectivement. Je suis mobilisé et concerné depuis longtemps. Comme je viens de l’indiquer, j’ai connu des mésaventur­es dans ma jeunesse, j’ai subi de trop nombreux contrôles au faciès. Et c’était il y a plusieurs dizaines d’années. J’ai vu aussi des proches pleurer leur enfant, mort après avoir croisé le chemin des forces de l’ordre. Et c’était il y a seulement cinq ou six ans. J’ai encore suivi l’a aire Adama Traoré. Et c’était il y a quatre ans. Je connais le poids de cette douleur, je connais ce sentiment d’illégitimi­té sous lequel les parents ploient quand il s’agit de demander justice. Je connais ce silence coupable auquel on les renvoie, je connais cette injonction sourde à faire profil bas qui décuple les sou rances.

J’ai connu cette petite voix qui répète à l’infini dans les têtes « baisse les bras, tu es seul ». C’est le pot de terre contre le pot de fer. Tout ça doit cesser.

Vous avez été l’une des premières personnali­tés à manifester publiqueme­nt votre soutien à la famille Traoré. Depuis, vous êtes resté proche de sa soeur Assa. Pourquoi ?

Je partage les motivation­s de son combat. La justice et la vérité. Elles relèvent de l’égalité pour tous. Ce sont des valeurs que l’école française m’a inculquées. J’ai vu ces mots partout, plusieurs fois par jour. Au fronton des écoles chaque matin, sur les pièces de monnaie quand j’allais acheter du pain à la boulangeri­e. Je me suis rapproché d’Assa Traoré parce que je trouve sa déterminat­ion et son courage exemplaire­s. Elle lutte sans faillir depuis quatre ans pour obtenir les réponses que la justice lui doit. A ce titre, elle a fait du nom d’Adama un symbole qui résonne fort aujourd’hui.

La comparaiso­n entre l’affaire George Floyd et l’affaire Adama Traoré fait débat. Qu’en pensez-vous?

Ces deux hommes sont morts entre les mains des forces de l’ordre. Tous deux se sont plaints de ne plus pouvoir respirer. Dans les heures qui ont suivi ces deux drames, les autorités ont conclu avec empresseme­nt à une défaillanc­e cardiaque de chacune de ces victimes. C’est toujours le même processus à l’oeuvre. Nous pouvons faire la liste des similitude­s et celle des di érences. A quoi bon ? Quel est l’intérêt de cette question, si ce n’est d’éviter la seule qui compte : est-ce que la mort de ces deux hommes est juste ?

Le président de la République a saisi son gouverneme­nt pour répondre aux attentes des manifestan­ts. Cette annonce vous satisfait-elle ?

Je pense que les mots peuvent faire du bien quand ils sont suivis d’actes forts. Espérons que ce sera le cas. ■

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 ??  ?? Acteur et humoriste né en 1978, Omar Sy a fait ses débuts sur Canal+. Il reçoit en 2012 le césar du meilleur acteur pour « Intouchabl­es ». Résidant à Los Angeles, il a tourné dans « X-Men », et « Jurassic World ». Il sera à l’affiche du prochain film d’Anne Fontaine, « Police » , et de la série « Arsène Lupin », sur Netflix.
Acteur et humoriste né en 1978, Omar Sy a fait ses débuts sur Canal+. Il reçoit en 2012 le césar du meilleur acteur pour « Intouchabl­es ». Résidant à Los Angeles, il a tourné dans « X-Men », et « Jurassic World ». Il sera à l’affiche du prochain film d’Anne Fontaine, « Police » , et de la série « Arsène Lupin », sur Netflix.
 ??  ?? Le 30 mai, Omar Sy manifeste à Los Angeles, où il vit. Sa pancarte reprend les derniers mots de George Floyd, qui sont aussi ceux d’Adama Traoré.
Le 30 mai, Omar Sy manifeste à Los Angeles, où il vit. Sa pancarte reprend les derniers mots de George Floyd, qui sont aussi ceux d’Adama Traoré.

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