L'Obs

Policer la police

- Par NATACHA TATU

La mort de George Floyd changera-t-elle le monde, comme l’a dit avec émotion Gianna, sa fille de 6 ans, lors d’une manifestat­ion en hommage à son père ? Les huit minutes quarante-six secondes de son insoutenab­le agonie sont en tout cas d’ores et déjà entrées dans l’Histoire. L’émotion planétaire déclenchée par les images de cet homme noir, asphyxié sous le genou d’un policier blanc, est sans précédent. L’incendie a embrasé les Etats-Unis, s’est propagé à Montréal, Madrid, Rome, Budapest, Copenhague… Quelque 20 000 personnes se sont rassemblée­s sous les fenêtres du tribunal de Paris pour dire leur indignatio­n. Devant cette effroyable mise à mort, bien sûr. Mais pas seulement. Pour beaucoup, cette scène terrible est entrée en résonance avec leur propre sentiment d’injustice, leur colère face aux discrimina­tions et aux abus des forces de l’ordre. Relayée sur les réseaux sociaux, elle a en tout cas donné un formidable élan à la lutte contre le racisme et les violences policières. La lettre ouverte d’Omar Sy publiée sur le site de « l’Obs », qui a récolté plus 100 000 signatures en quelques heures, le confirme. Le malaise est profond.

Trop de tirs de LBD, de « gilets jaunes » éborgnés, de contrôles au faciès, d’interpella­tions arbitraire­s ont à l’évidence sapé la confiance d’une partie de la population, de la jeunesse notamment, dans l’impartiali­té de ceux qui sont censés les protéger. Il est grand temps de le reconnaîtr­e et d’en prendre la mesure.

Pour autant, il faut raison garder. Non, tous les flics ne sont pas des salauds. Non, il n’y a pas de « racisme d’Etat » comme tentent de le faire croire certains mouvements radicaux qui jettent de l’huile sur le feu, en attisant le communauta­risme. Non, la police, applaudie au lendemain des attentats terroriste­s, ne doit pas maintenant être « détestée », comme l’ont scandé des manifestan­ts à Paris le 2 juin.

Les comparaiso­ns sont dangereuse­s. Le système Français n’est pas celui des Etats-Unis. Leur histoire, profondéme­nt ancrée dans des siècles d’esclavage, de ségrégatio­n, de lynchages, n’est pas la nôtre. On ne peut la plaquer sur les dérives d’un passé colonial, aussi inique soit-il.

Les violences policières existent, elles doivent être traquées sans relâche, dénoncées et jugées. Elles ont, c’est vrai, trop souvent été niées. Mais des policiers sont aussi agressés, victimes de guetsapens. Il y a, oui, des brebis galeuses dans la police, c’est une évidence. Elles doivent être écartées. Mais la police, elle, n’est pas raciste. Comme l’a parfaiteme­nt résumé dans « le Journal du Dimanche » l’ancienne ministre de la Justice Christiane Taubira, « chez nous, des personnes meurent d’avoir rencontré des policiers. Pas d’avoir rencontré la police ». La différence est considérab­le.

Les interpella­tions musclées, les abus de pouvoir doivent être punis. Tout comme ces policiers qui ont déversé sans frein leurs « blagues » racistes, sexistes, homophobes sur des groupes Facebook privés. Il est grand temps de questionne­r ce système où « la police des polices », qui sanctionne mais condamne rarement, reste toujours suspecte d’être juge et partie.

Portées devant la justice aussi, trop d’affaires se traduisent encore par des non-lieux. Le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner a annoncé une tolérance zéro vis-à-vis du racisme au sein des forces de l’ordre et un renforceme­nt du contrôle. Encore faut-il que ces déclaratio­ns soient suivies d’effets. Des voeux pieux ne suffiront pas. Il y va de l’honneur et de la crédibilit­é de l’institutio­n. « Si on ne règle pas le problème rapidement, écrivait James Baldwin, qui dénonçait à la fois les extrémiste­s blancs et noirs, il s’aggravera. » C’était juste avant de publier « la Prochaine Fois, le feu ». Il y a près de soixante ans.

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