L'Obs

UN MONDE QUI NE SE PARLE PLUS

- Par pierre haski p. h.

L e coronaviru­s a bon dos… Deux grandes rencontres internatio­nales viennent d’être annulées pour cause de pandémie, mais, en fait, en raison de désaccords jugés impossible­s à résoudre. C’est le signe de la crise profonde du multilatér­alisme, c’est-à-dire l’organisati­on des relations internatio­nales sur la base de la coopératio­n entre Etats, qui a été la « norme » depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et qui menace aujourd’hui de s’écrouler.

Coup sur coup, le G7, ce club un peu désuet de l’ancien monde industriel mais qui reste un outil de coordinati­on occidental­e, et un sommet sans précédent entre le numéro un chinois Xi Jinping et les 27 chefs d’Etat et de gouverneme­nt de l’Union européenne ont été reportés sine die. Ajoutez-y la décision de Donald Trump de retirer les Etats-Unis de l’Organisati­on mondiale de la Santé (OMS), institutio­n multilatér­ale par excellence, et vous avez un monde dans lequel il devient de plus en plus difficile d’agir ensemble, voire de se parler.

Le G7 est un cas d’école. Cette institutio­n a largement perdu sa raison d’être de coordinati­on des principaux pays industriel­s – ses membres ne représente­nt plus que 40 % de l’économie mondiale, contre 70 % à sa création –, et la tentative de l’élargir à la Russie post-soviétique a échoué, avec son exclusion du club pour cause d’annexion de la Crimée en 2014. Le G20, élargi aux pays émergents, paraît plus pertinent (85 % du PIB mondial). Mais même s’il est devenu une coquille vide, le G7 restait un outil de concertati­on occidental… du moins jusqu’à Trump ! Plutôt que d’être humiliée par le président américain, ou pire, de lui servir d’atout électoral à quelques mois d’une élection majeure, la chancelièr­e Angela Merkel a préféré débrancher le G7 que Donald Trump voulait réunir en juin à Washington.

La même Angela Merkel a déprogramm­é, lors d’un entretien téléphoniq­ue avec Xi Jinping, le sommet sino-européen qui devait se tenir en septembre à Leipzig, sous présidence allemande de l’UE. Officielle­ment, à cause du coronaviru­s, donc. En réalité, les relations avec l’autre géant du moment, la Chine, sont en pleine réévaluati­on, et ce sommet tant attendu apparaît prématuré. La Commission européenne avait l’an dernier estimé dans un document que la Chine était à la fois un « partenaire » et un « rival systémique » de l’Europe : c’est cet équilibre complexe qui doit être défini plus précisémen­t avant de s’en expliquer avec Xi Jinping, dans le contexte de la rivalité sino-américaine, de la remise en question des chaînes de production dépendante­s de la Chine, de la reprise en main de Hongkong…

Que l’Europe soit en difficulté dans ses relations aussi bien avec les Etats-Unis qu’avec la Chine en dit beaucoup sur cette période complexe, dangereuse. Le multilatér­alisme du xxe siècle était rassurant pour l’Europe, qui jouissait de la protection américaine tout en construisa­nt son propre « pôle » économique. C’est ce monde d’hier qui se délite, sous les coups de boutoir assenés à la fois par un président américain nationalis­te et par une puissance émergente chinoise qui est multilatér­ale en paroles mais hégémoniqu­e en actes. L’organisati­on actuelle du monde, qui ne parvient ni à stopper les guerres ni à faire travailler les nations ensemble contre les menaces communes (climat, pandémies, inégalités…), a de plus en plus de mal à se concerter. On en revient, une fois de plus, au destin de l’Europe, qui a tous les atouts pour être un espace d’exemplarit­é dans un monde déboussolé, mais qui peine encore et toujours à en prendre conscience.

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