UN MONDE QUI NE SE PARLE PLUS
L e coronavirus a bon dos… Deux grandes rencontres internationales viennent d’être annulées pour cause de pandémie, mais, en fait, en raison de désaccords jugés impossibles à résoudre. C’est le signe de la crise profonde du multilatéralisme, c’est-à-dire l’organisation des relations internationales sur la base de la coopération entre Etats, qui a été la « norme » depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et qui menace aujourd’hui de s’écrouler.
Coup sur coup, le G7, ce club un peu désuet de l’ancien monde industriel mais qui reste un outil de coordination occidentale, et un sommet sans précédent entre le numéro un chinois Xi Jinping et les 27 chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne ont été reportés sine die. Ajoutez-y la décision de Donald Trump de retirer les Etats-Unis de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), institution multilatérale par excellence, et vous avez un monde dans lequel il devient de plus en plus difficile d’agir ensemble, voire de se parler.
Le G7 est un cas d’école. Cette institution a largement perdu sa raison d’être de coordination des principaux pays industriels – ses membres ne représentent plus que 40 % de l’économie mondiale, contre 70 % à sa création –, et la tentative de l’élargir à la Russie post-soviétique a échoué, avec son exclusion du club pour cause d’annexion de la Crimée en 2014. Le G20, élargi aux pays émergents, paraît plus pertinent (85 % du PIB mondial). Mais même s’il est devenu une coquille vide, le G7 restait un outil de concertation occidental… du moins jusqu’à Trump ! Plutôt que d’être humiliée par le président américain, ou pire, de lui servir d’atout électoral à quelques mois d’une élection majeure, la chancelière Angela Merkel a préféré débrancher le G7 que Donald Trump voulait réunir en juin à Washington.
La même Angela Merkel a déprogrammé, lors d’un entretien téléphonique avec Xi Jinping, le sommet sino-européen qui devait se tenir en septembre à Leipzig, sous présidence allemande de l’UE. Officiellement, à cause du coronavirus, donc. En réalité, les relations avec l’autre géant du moment, la Chine, sont en pleine réévaluation, et ce sommet tant attendu apparaît prématuré. La Commission européenne avait l’an dernier estimé dans un document que la Chine était à la fois un « partenaire » et un « rival systémique » de l’Europe : c’est cet équilibre complexe qui doit être défini plus précisément avant de s’en expliquer avec Xi Jinping, dans le contexte de la rivalité sino-américaine, de la remise en question des chaînes de production dépendantes de la Chine, de la reprise en main de Hongkong…
Que l’Europe soit en difficulté dans ses relations aussi bien avec les Etats-Unis qu’avec la Chine en dit beaucoup sur cette période complexe, dangereuse. Le multilatéralisme du xxe siècle était rassurant pour l’Europe, qui jouissait de la protection américaine tout en construisant son propre « pôle » économique. C’est ce monde d’hier qui se délite, sous les coups de boutoir assenés à la fois par un président américain nationaliste et par une puissance émergente chinoise qui est multilatérale en paroles mais hégémonique en actes. L’organisation actuelle du monde, qui ne parvient ni à stopper les guerres ni à faire travailler les nations ensemble contre les menaces communes (climat, pandémies, inégalités…), a de plus en plus de mal à se concerter. On en revient, une fois de plus, au destin de l’Europe, qui a tous les atouts pour être un espace d’exemplarité dans un monde déboussolé, mais qui peine encore et toujours à en prendre conscience.