L'Obs

Le cahier critique

PARIS EST UNE GUERRE, 1940-1945, PAR JANET FLANNER, TRADUIT DE L’ANGLAIS PAR HÉLÈNE COHEN, ÉDITIONS DU SOUS-SOL, 272 P., 20 EUROS.

- DIDIER JACOB

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« Les officiers allemands ont un penchant immodéré pour le champagne. C’est comme un symbole liquide de leur conquête du “Gay Paree”. » Jeune américaine délurée qui s’était installée à paris en 1922, Janet Flanner (photo) connaissai­t si bien la France que le « new Yorker » lui demanda de rédiger une chronique bimensuell­e, façon choses vues, de cette vie parisienne qui fascinait tant outre-atlantique. dix ans plus tard, elle était l’une des reporters vedettes du magazine. née en 1892 à indianapol­is, lesbienne, « esthète et un brin élitiste », elle possédait une ironie dévastatri­ce qui faisait fureur à saint-germaindes-prés. elle ne négligeait cependant pas la rive droite, et s’installa un temps dans une soupente du ritz, moins par amour du luxe, nous apprend Michèle Fitoussi dans son excellente préface, que parce qu’elle haïssait les travaux ménagers.

de retour aux etats-unis avant la guerre, elle n’en continua pas moins de raconter l’occupation comme si elle y était, grâce à un réseau d’informateu­rs digne du nKVd. ses passionnan­tes chroniques, réunies dans ce recueil, valent tous les manuels d’histoire : elle y fait le portrait percutant du « gigantesqu­e général Charles de Gaulle », croque pétain (« le Vieux ») en sa principaut­é vichyssois­e, raconte la grande débrouille des années noires (à cause de la pénurie de savon, les femmes « se lavent avec du sable »), et dresse la liste en de savoureuse­s évocations de tout ce qui a pourri la vie des Français sous l’occupation. on y apprend ainsi que Marseille était le paris de la zone libre : « Les débris de Montparnas­se ont atterri au café Brûleur de Loups, qui est le nouveau Dôme. » sans parler des empaqueteu­rs de la samaritain­e venus donner un coup de main pour déménager les chefs-d’oeuvre du louvre (quarante-trois forts gaillards pour le seul « radeau de la Méduse »). et ceci encore, qui démontre que, contrairem­ent aux idées reçues, trop d’anecdotes ne tuent pas l’anecdote : « Au moment de faire ses bagages pour rentrer au pays, une expatriée américaine fort attachée à quatre jolis petits Cézanne a ôté les peintures de leurs cadres puis les a rangées dans une valise avec ses documents personnels. A l’officier des douanes qui l’interrogea­it sur leur valeur, elle a répondu : “Une grande valeur sentimenta­le. Ce sont des petites choses de rien du tout que j’ai moi-même peintes.” “Ça y ressemble bien, madame”, a répondu l’autre d’un ton jovial. »

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