L'Obs

La renaissanc­e de Keaton

LE MÉCANO DE LA “GENERAL”, PAR BUSTER KEATON ET CLYDE BRUCKMAN. COMÉDIE AMÉRICAINE, AVEC BUSTER KEATON, MARION MACK, GLEN CAVENDER (1926, 1H15). DISPONIBLE SUR YOUTUBE ET EN DVD (MK2).

- FRANÇOIS FORESTIER

de la main droite, Buster Keaton salue les soldats qui défilent. de la main gauche, il enlace marion mack et tente de l’embrasser. le film se termine ainsi, dans la poussière de la guerre de sécession, après une poursuite folle en locomotive – la fameuse « General » – à travers les lignes sudistes. a pied, en draisine, en vélocipède et, enfin, en train, Buster Keaton a poursuivi les vils ravisseurs de sa fiancée. il a évité les boulets de canon, chevauché le chassepier­res, semé des traverses sur la voie, s’est caché sous une table, stoppé une attaque fourbe, sombré dans une rivière, et, chemin faisant, créé un chef-d’oeuvre. drôle, mélancoliq­ue, inattendu, beau, ce « mécano » est l’un des rares moments du cinéma des années 1920 à avoir survécu sans vieillir, comme un morceau d’une atlantide perdue… les films de Buster Keaton existent par miracle. dans les années 1950, plus personne ne savait qui il était. mutique, vieilli, il faisait le clown à medrano, sur les Grands Boulevards, ou dans des foires de province. ses films, disait-on, avaient été brûlés par le producteur Joseph schenck, son beau-frère, pour récupérer les sels d’argent de la pellicule.

Keaton, parfois, disait : « J’ai fait des beaux films », personne ne le croyait, l’alcool le fracassait. puis, dans son ancienne maison de Beverly hills, le nouveau propriétai­re, James mason, tout en taillant ses roses, avait remarqué un cabanon au fond du jardin. il l’avait ouvert. là, des dizaines de bobines de films, détériorée­s, étaient entreposée­s. C’étaient tous les films de Keaton, réputés disparus. nous étions en 1954. la renaissanc­e de Keaton commençait. Celle de Clyde Bruckman, son scénariste et ami, avec lequel il avait conçu « le mécano de la “General” », non. un an après, en 1955, celui-ci, enfermé dans une cabine téléphoniq­ue, se tirait une balle dans la tête.

la maison a été habitée par rudolph valentino, puis par Cary Grant. aujourd’hui, le cabanon est toujours là. Je l’ai vu, avec un pincement au coeur. J’ai aussi visité la locomotive, exposée à Kennesaw, Georgia. elle est noire et rouge, superbe. et, quand je revois « le mécano de la “General” », à chaque fois je salue Keaton de la main droite, un peu ému quand même.

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