Sheila, Chic fille
KING OF THE WORLD (40TH ANNIVERSARY EDITION) PAR SHEILA & B. DEVOTION (WARNER).
En 1976, Sheila, née Annie Chancel, est encore une chanteuse de variétés françaises. La native de Créteil, Seine-et-Marne, chante « l’Amour qui brûle en moi » et « Flagrant Délit de tendresse », tandis que Raymond Barre, nouveau Premier ministre de Giscard d’Estaing, chante l’air de la rigueur budgétaire et de l’austérité économique. Mais en 1977, Sheila embrasse le disco et publie sous le nom de S. B. Devotion la chanson « Love Me Baby ». Sur la pochette du 45-tours, un dessin représente un groupe de six musiciens, dont une Noire à afro et une blonde qui ne ressemble pas à la Française. Le public ignore alors que la chanteuse du titre est l’interprète de « Petite Fille de Français moyen » et que cette formation est son nouvel avatar. Après le succès de « Love Me Baby », son producteur, Claude Carrère, a eu une idée géniale. Il contacte le groupe Chic (le guitariste Nile Rodgers et le bassiste Bernard Edwards) pour qu’ils produisent son prochain album. L’histoire retiendra que Sheila, parangon du conservatisme gaulois, a collaboré avec Nile Rodgers bien avant les avant-gardistes David Bowie (« Let’s Dance », 1982) et, biologie oblige, Daft Punk (« Random Access Memories », 2013).
L’album « King of the World » est aujourd’hui réédité avec des démos et des remixes inédits. On y trouve un des sommets de Chic, la splendeur « Spacer », tube (inter) planétaire librement inspiré par le film « Star Wars ». C’est déjà « Get Lucky », moins le vocoder. Dans le livret, Nile Rodgers évoque certaines discordances interculturelles : « Quand nous avons écrit pour Sheila ‘‘Charge Plates And Credit Cards’’, nous ne savions pas que la carte Visa n’existait pas alors en Europe. Quand elle l’a enregistrée, elle n’avait aucune idée de ce qu’était une carte de crédit… » Si le disque n’atteint pas la hauteur stratosphérique de « Spacer », on y entend déjà les sonorités de guitare qui scanderont l’album « Let’s Dance ». « Don’t Go » sonne comme un prototype de « He’s the Greatest Dancer », chanson de Sister Sledge, produite par Chic (1979). « Your Love Is Good » annonce joliment « Diana », chef d’oeuvre de Diana Ross, produit par Chic (1980). Le morceau « King Of The World », inspiré par « Maître du monde » de Jules Verne, décoche un refrain du meilleur groove et aloi. Et si elle n’est peut-être pas « la déesse blonde venue de France », comme l’affirmait la pub américaine de l’époque, Sheila est une Chic fille.