Le Banksy circus
Rien sur l’art du pochoir, rien sur les artistes qui l’ont influencé... En choisissant de s’en tenir au marketing, ce documentaire d’Aurélia Rouvier et Seamus Haley finit par participer à la com du street artist sans visage.
La séquence d’ouverture de ce documentaire, avec cette fameuse vente aux enchères chez Sotheby’s d’une oeuvre exposée lors de la Frieze Art Fair à Londres qui s’autodétruira après avoir été adjugée, était prometteuse. On sent que la production a mis les moyens et que les réalisateurs ont voyagé. Mais, très vite, l’absence de contradiction face aux intervenants qui accumulent les énormités devient problématique. « Banksy, c’est quelqu’un qui vient appuyer là où ça fait mal, qui mène des combats. Et finalement, est-ce que ça n’est pas là l’essence d’un artiste ? », lance Nicolas Laugero Lasserre, directeur de l’Icart (Institut des Carrières artistiques) et cofondateur du centre d’art urbain Artistik Rezo. « Il est plus reconnaissable que Leonard de Vinci », affirme un autre. « Il est l’artiste le plus célèbre de l’histoire de l’art » ; « le Picasso du xxe siècle, le Andy Warhol […] », etc. Autant de formules sans fondement qui décrédibilisent le propos du film. D’ailleurs, quasiment aucun artiste ni critique d’art ne prend la parole mais des journalistes, des acheteurs, des agents, soit tous les acteurs du « cirque » entourant l’homme sans visage de Bristol. Il faut voir pour le croire ce marchand d’art qualifier d’oeuvre médiocre « Girl with Balloon », vendue à Londres (il était prêt à l’acheter 650 000 livres avant qu’elle ne lui échappe), puis le travail de Banksy de « massive fuck you to the art world ». En cela, on retrouve assez justement l’énorme contradiction dans laquelle l’artiste est pris depuis qu’il est devenu une célébrité mondiale : dénoncer la médiocrité de la société contemporaine tout en étant une de ses incarnations.
L’une des principales contradictions de ce documentaire, c’est qu’il n’y est pas question d’art. Rien sur l’origine du graffiti, du pochoir ; rien sur les artistes qui ont influencé Banksy, les Anglais, les Américains, le Français Ernest Pignon-Ernest qui a imposé ses pochoirs et ses idées progressistes sur les murs des pays européens des décennies avant lui ; rien sur les performers qui, avant et après lui, ont forcé les portes des musées, imposé leurs oeuvres dans les rues ; rien sur le sens de son travail. « Banksy Wanted » est un film sans mémoire où il n’est quasiment question que du présent, de communication, de marketing et de vente. Le problème de la valeur au sein d’un système marchand n’est malheureusement jamais évoqué non plus. Il n’est donc pas étonnant que l’image qui revienne le plus souvent dans ce documentaire soit celle de touristes se photographiant devant les oeuvres peintes sur les murs des villes aux quatre coins du monde. Depuis plus de trente ans, Banksy s’attaque au vide contemporain. Quelle que soit son identité, l’artiste, s’il n’est pas devenu totalement cynique, doit se faire certaines nuits des noeuds à l’estomac.
On peut néanmoins se contenter de la seconde partie du documentaire qui s’attaque avec clarté à la recherche de son identité (trois hypothèses sérieuses ont été émises récemment), c’est-à-dire à l’os que nous donne à ronger depuis des années celui dont le premier pseudonyme était « Robin Banks », littéralement « braqueur de banques ». Il a braqué avec brio et, depuis, tout le monde braque dans sa foulée, les marchands, la foule, les médias, participant à gonfler ce qui ressemble de plus en plus à une énorme supercherie résumée malgré lui par un de ses acheteurs (photo) en train de faire découper un mur où figure une de ses peintures : « Si on ne filme pas, on fait tout ça pour rien. »