On achève bien les gros
Documentaire de Gabrielle Deydier, Laurent Follea, Valentine Oberti (2020). 50 min.
Un salarié sommé de mesurer son tour de taille, sous le regard de son supérieur plus intéressé, lors de l’entretien annuel d’évaluation, par ses centimètres supplémentaires que par ses bonnes performances ; une touriste, à l’aéroport, contrainte de se peser, qui écope d’une double pénalité : pour ses kilos en trop et pour avoir menti. Procédé astucieux, ce documentaire sur la grossophobie s’enrichit de quelques scènes de fiction inspirées d’un roman dystopique façon « Black Mirror » écrit par Gabrielle Deydier, protagoniste principale et coréalisatrice. Pas besoin d’anticipation, pourtant. Des scènes psychologiquement violentes, sa vraie vie en regorge déjà. Comme dans ses critères de recherche d’appartement – « Est-ce que je vais pouvoir rentrer dans les toilettes et dans la cabine de douche ? » – ou dans les salles d’attente dont l’étroitesse des sièges l’empêche de s’asseoir.
Son travail contribue à une prise de conscience : celle de la terrifiante invisibilité des « millions d’obèses » : « Ils sont où ? » La vie de Gabrielle Deydier bascule, à 16 ans, quand elle achète un jean taille 42. Sa mère panique, l’envoie chez un médecin. La gamine tombe sur un as qui lui prescrit un cocktail de médocs. En un été, elle prend… 30 kilos. Ses camarades, ses profs ne la reconnaissent pas, elle décroche scolairement. Le documentaire la filme de retour dans cette école où une de ses anciennes profs l’a invitée à venir témoigner. En la voyant avancer, reculer, incapable d’entrer dans la classe, le spectateur mesure l’épreuve et il se recroqueville encore un peu plus en l’observant face à cette assemblée d’ados sans grand tact. Il en faut du courage et de la dignité pour pulvériser les préjugés. Répondre à cette question, par exemple : « Est-ce que vous avez déjà eu des relations sexuelles ? » Mais elle finit par gagner le respect, dont témoigne cette réflexion d’une élève, épatée : « Je trouve que vous êtes une femme forte pour être passée au-dessus de tout ce que vous avez vécu. »