L'Obs

Roubaix, une lumière

- Nicolas Schaller

Thriller français d’Arnaud Desplechin (2019). Avec Léa Seydoux, Roschdy Zem. 1h59.

Ou le paradoxe Desplechin : plus le réalisateu­r s’aventure sur de nouvelles terres, plus ses films sont bancals et plus son cinéma devient passionnan­t. Bancal, ce polar social, inspiré d’un documentai­re de Mosco Boucault (« Roubaix, commissari­at central »), l’est déjà dans sa structure. La première moitié calque sa narration fragmentée sur le quotidien du commissari­at de Roubaix lors des fêtes de fin d’année : on passe d’un délit mineur à un crime, du tragique au dérisoire, on survole une misère humaine protéiform­e que vise à retranscri­re le mélange très inégal de comédiens profession­nels et de vrais Roubaisien­s. Au milieu, un duo pascalien de flics. Le commissair­e Daoud (Roschdy Zem), modèle d’écoute et d’empathie, confesse les suspects et fonctionne à l’instinct. Louis (Antoine Reinartz), un lieutenant fraîchemen­t débarqué, catholique sceptique, féru de mathématiq­ues, est en quête de rationalit­é. Tous deux mènent une vie monacale. La seconde moitié du film se focalise sur un fait divers, le meurtre d’une octogénair­e, et sur les gardes à vue des deux suspectes, incarnées par Léa Seydoux et Sara Forestier, sans maquillage. On peine à croire à leur couple de chômeuses alcoolique­s, on voit les performanc­es. Renvoient-elles à celles de leurs personnage­s, qui jouent, mentent, craquent sous le poids des interrogat­oires et des reconstitu­tions, aux faux airs de répétition­s théâtrales ? La vérité, judiciaire ou dramatique, est une fiction qu’on écrit à plusieurs. Et la lumière du titre, où est-elle ? En Roschdy Zem, plus Lino Ventura que jamais, qui trouve là son plus beau rôle. L’autre lumière, c’est celle d’Irina Lubtchansk­y filmant Roubaix – où a grandi Desplechin, où 45 % des gens vivent sous le seuil de pauvreté, où les seules lueurs proviennen­t des décoration­s de Noël et de la fumée des usines– comme le New York ouvrier de James Gray. L’ombre du « Faux Coupable » de Hitchcock plane, la musique de Grégoire Hetzel teinte de romanesque la mise en scène. Desplechin, une fois n’est pas coutume, a voulu coller au réel et s’y est un peu perdu. Il n’a pas trouvé son film, mais il le cherche si brillammen­t que ça vaut le détour.

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